mai/juin 2018
De nos jours, pour pallier les rigueurs des températures hivernales, les Français appuient simplement sur la touche de mise en marche de leurs appareils de chauffage qui fonctionnent au fuel, au gaz ou à l’électricité ; dans les années 1950, la majorité des gens chauffaient encore leurs habitations avec des poêles à bois ou à charbon et préparaient toujours leurs repas à l’aide de cuisinière qui fonctionnait grâce à la combustion d’une de ces deux matières. Dans beaucoup de familles, on continuait à utiliser des cuisinières datant du début du xxe siècle. En fonte noire, d’un poids énorme et d’une solidité à toute épreuve, elles comportaient une plaque de foyer conçue pour faire chauffer deux casseroles, un four et une réserve d’eau chaude ; leurs ornements et leurs boutons de préhension étaient en laiton.
Les charbonniers étaient donc, de ce temps, des personnages incontournables de la vie quotidienne, surtout l’automne et l’hiver, saisons où ils livraient le charbon et le bois à domicile ; ces livraisons étaient effectuées en camions mais il arrivait que les plus pauvres des charbonniers les effectuent en charrette à bras (fig. 1). Leur travail était harassant ; ils devaient charger un par un dans le véhicule prévu à cet effet les sacs de 50 kg ; une fois arrivés chez le client, ils les déchargeaient et allaient les vider dans une cave qui n’était souvent accessible que par un petit escalier étroit et obscur ; parfois, ils devaient même les monter aux étages.
Afin de limiter la pénétration de la poussière de charbon, ils décousaient en partie un sac vide et s’en recouvraient la tête, les épaules et le haut du dos. Malgré cette précaution, à la fin de la journée, leur visage était noirci des cheveux au menton car la poussière se collait sur leur visage inondé de sueur. L’expression noir comme un charbonnier est bien basée sur la réalité.
La généralisation de l’utilisation du gaz et du fuel entraîna la disparition progressive des charbonniers et celle des objets publicitaires offerts en abondance par les industriels qui manufacturaient et commercialisaient sous les noms de boulets, tréblets ou cerclets les différentes variétés de charbon. Ces petits objets publicitaires étaient, le plus souvent, des marque-pages, des buvards (fig. 2) ou de simples carnets destinés à prendre des notes, cadeaux qui paraissent aujourd’hui dérisoires mais qui avaient alors leur importance. Disparurent aussi des rues les publicités peintes sur les murs et les affiches qui vantaient les qualités de telle ou telle marque ; la concurrence entre entreprises était rude ; pour attirer l’attention des passants ces affiches furent toujours réalisées par les meilleurs illustrateurs.
L’abandon de ces matières combustibles rendit obsolète l’activité des ramoneurs qui, encore plus sales que les charbonniers, parcouraient les rues en criant ramoni, ramona la chemina de haut en bas. Ils étaient majoritairement Savoyards mais d’autres venaient du Cantal. Leurs accents différents de celui des Girondins et leur aspect sale faisaient d’eux une population « à part » qu’on soupçonnait de ne pas être étrangère à divers larcins. Tous n’étaient pas malhonnêtes mais le spectacle de ces individus dépenaillés, noirs de suie grasse, coiffés de chapeaux crasseux et informes enfoncés jusqu’aux oreilles, leurs cordes et leurs hérissons (ainsi nommait-on les brosses métalliques servant à leur travail) dépassant du sac qu’ils portaient chacun sur le dos, accompagnés de leurs enfants aussi sales qu’eux, avait quelque chose de pitoyable qui ne donnait pas l’image d’un sort enviable. Ils avaient si mauvaise réputation qu’ils étaient souvent rapidement éconduits par ceux à qui ils proposaient leurs services après avoir sonné ou frappé à la porte d’une maison. Certains avaient défendu à leurs domestiques de laisser entrer un ramoneur dans leurs habitations ; ils se disaient que, profitant de l’absence de la bonne partie prévenir la maîtresse de maison, le ramoneur avait vite fait de mettre un objet dans sa poche. Quand des bambins s’étaient montrés insupportables, les mamans mais plus encore les bonnes, menaçaient : Attendez un peu que je vous donne au ramoneur. Tout rentrait alors vite dans l’ordre car si les membres de cette profession inspiraient de la méfiance aux adultes, ils provoquaient la terreur des petits qui les confondaient avec ces croque-mitaines dont on évoquait l’existence dans les contes absurdes dont, de ce temps, on abreuvait les enfants pour qu’ils soient sages.
À partir des années 1955/1956, les ramoneurs disparurent des rues car ils ne trouvaient plus guère d’ouvrage. D’une part à cause de leur réputation sulfureuse mais, aussi, parce que les fumistes (on ne disait pas alors chauffagistes) s’étaient dotés d’un matériel nouveau qui permettait un ramonage plus propre et bien plus efficace.
Il était certes agréable de voir se consumer des bûches dans la cheminée ou des boulets dans un poêle à travers les ouvertures agrémentées de feuilles de mica aménagées dans ses portes mais, si on peut regretter certains aspects de la vie quotidienne des années 1950, ce n’est pas le cas pour ce mode de chauffage. Monter le charbon (dans un seau dévolu à cet usage) de la cave au rez-de-chaussée et aux étages, puis allumer le feu avec de vieux papiers et du petit bois vendu en des sortes de bottes que les Girondins nommaient des ligots, constituaient des tâches pénibles et fastidieuses. Quand le feu était éteint, il fallait balayer le foyer ou vider l’appareil pour évacuer les cendres après s’être assuré que les fenêtres de la pièce où se déroulait cette opération soient closes, ceci afin d’éviter qu’elles soient dispersées par un courant d’air. On devait, après, les jeter dans une poubelle en fer afin de ne pas provoquer d’incendie car il pouvait y avoir parmi elles une braise encore incandescente. L’entretien des cuisinières nécessitait, lui aussi, l’évacuation des cendres mais, en plus, un nettoyage régulier de la plaque avec un produit abrasif (fig. 3).
Lors de la dernière foire à la brocante de la place des Quinconces, je n’ai pas pu réprimer un sourire en entendant un grand-père expliquer à son petit-fils le fonctionnement d’un poêle à charbon du xixe siècle qui se trouvait là. Âgé d’environ dix ans, l’enfant qui, depuis sa naissance, n’avait certainement connu que le chauffage électrique, regardait l’appareil comme s’il s’agissait d’un vestige surgi de la Préhistoire.
Tout passe ; nous passons…
Jean-François Fournier
Société archéologique de Bordeaux
Recherches iconographiques effectuées par Aurore Loup
Illustrations
Fig. 1/ Buvard offert par le fromage La vache qui rit montrant un charbonnier dans l’exercice de son métier.
Fig. 2/ Buvard offert par une marque de charbon.
Fig. 3/ Publicité à système éditée par une marque de produit abrasif. Quand on tire sur le bouton du haut apparaît une table de multiplication.