Janvier/Février 2019
Si Louis XV se battit pour le roi de Prusse, Napoléon III fit la guerre à la Prusse à cause de la couronne d’Espagne. Il y laissa la sienne, Guillaume Ier échangea sa couronne royale contre une impériale, et la France eut une République.
En septembre 1868, une révolution chassa du trône espagnol Isabelle II. Le général Prim, régent, chercha à qui la proposer. Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen, cousin du roi de Prusse, posa sa candidature, le 2 juillet 1870. Dès le 12 juillet, n’obtenant pas le soutien des puissances et devant l’opposition française refusant toute éventualité d’axe Madrid-Berlin, il renonce. L’entourage de Napoléon III fit l’erreur d’insister auprès de Guillaume pour des garanties supplémentaires. L’ambassadeur français rencontra le roi de Prusse à la gare d’Ems (13 juillet). Pour celui-ci, l’affaire était close, et sa réponse parfaitement acceptable. Il en informa Bismarck, qui fit publier, le 14, la dite réponse, après l’avoir trafiquée dans un sens injurieux pour les Français. La réaction française, espérée par le chancelier, fut la déclaration de guerre, le 19 juillet 1870.
Bismarck désirait achever, au profit de la Prusse, l’unification allemande, ou plus exactement ressusciter le Saint-Empire romain (réduit par Napoléon Ier en empire d’Autriche, le 11 août 1804). Par la victoire de Sadowa, le 3 juillet 1866, les Hohenzollern prirent définitivement l’ascendant sur les Habsbourg et la Confédération germanique devint la Confédération d’Allemagne du Nord. Celle-ci se lia avec les états allemands du Sud (Bavière, Bade, Wurtemberg, etc.) par une alliance défensive. Si bien que Napoléon III déclarant la guerre à la Prusse, dut affronter toute l’Allemagne, et que le « Prusco » de 1870-71 est autant prussien que saxon, bavarois que mecklembourgeois.

« Nous sommes archi-prêts ; il ne manque pas un bouton de guêtre » (maréchal Edmond Le Bœuf ministre de la Guerre, 16 juillet 1870, lors des débats sur la déclaration de guerre). Mais l’Armée française n’était absolument pas prête pour une guerre de masse moderne. Les Allemands étaient mieux préparés : mobilisation méthodique, acheminement prioritaire des troupes par voies ferrée, direction de la guerre confiée au chef d’état-major, sur le terrain en fonction des circonstances initiative laissée aux officiers (ce qui parfois amena leurs chefs à intervenir malgré eux pour les soutenir), uhlans employés comme éclaireurs – les Allemands savaient toujours où se trouvaient les positions françaises, à défaut d’en toujours connaître les effectifs -, utilisation des forêts pour progresser à couvert et attaquer, combat en lisière.
La mobilisation française se fait dans la plus grande confusion : intendance dépassée, encombrement des voies de communication par les bagages, réfugiés, etc., réseau ferroviaire inachevé et surtout en étoile à partir de Paris et convois militaires non prioritaires. Le ve bataillon des mobiles de la Gironde part de Bordeaux (gare d’Orléans), le 23 novembre 1870, pour La Rochelle par train, puis gagne à pied La Roche-sur-Yon, où il arrive le 27. Le 6 décembre il rejoint par voie ferrée Les Sables-d’Olonne. Le 13, par train, il part des Sables pour atteindre Montebourg (Manche), le 15, via Angers, Argentan, Falaise, Alençon, Carentan où le chef de gare n’accepte de faire repartir le convoi que sous la menace des pistolets de deux officiers. De Montebourg, les mobiles gagnent à pied le camp de la Sansurière (cne Doville, Manche). Ils en repartent le 23 décembre, prenant le train à Valognes pour Le Mans (arrivée le 24). Souvent, durant les trajets ferroviaires, les hommes ne sont pas ravitaillés.
Le commandement français souffre d’une direction bicéphale : la conduite des opérations est normalement de la responsabilité du commandant en chef, mais la présence à ses côtés de Napoléon III chef de l’État et des Armées l’inhibe dans ses décisions, et l’empereur n’a pas le génie militaire de son oncle. L’officier français respecte la chaîne hiérarchique et, sauf exception, ne prend pas d’initiative. Il s’en tient à la lettre des ordres reçus, de préférence écrits après les premiers désastres (ouverture de parapluie). S’ajoutent l’absence de concertation entre les chefs d’armées (Mac-Mahon, Bazaine), les rivalités entre généraux, et après les premiers revers la mésentente et la défiance des subalternes envers les supérieurs : la 1re compagnie du corps-francs des Tirailleurs girondins connut, dans la seconde moitié d’octobre 1870, une mutinerie. Son capitaine (Bellier) et une vingtaine de fidèles partirent de leur côté. Après le combat de Varize (Eure-et-Loir, 29 novembre) s’éleva une polémique, par voie de presse, sur la responsabilité de la perte des Tirailleurs entre le nouveau capitaine (Gaullieur) et l’adjoint de son commandant. Avec l’armée de la Défense nationale (après le 4 septembre) il n’est pas rare que les officiers n’aient aucune confiance dans les troupes – inexpérimentées – qui leur sont confiées, entraînant la réciproque ; la garde nationale n’a aucune estime pour les volontaires des corps-francs accusés de rodomontades.
Napoléon Ier avait des éclaireurs et des guides. Sa cavalerie légère l’éclairait sur l’armée ennemie. En 1870-1871 l’armée est aveugle. Faute de reconnaissance et de renseignements, les Français ignorent où se trouve l’ennemi. Ils marchent au jugé, et lors des combats, se dirigent au son du canon. Joint à une méconnaissance topographique du terrain, cela contraint les renforts à des marches et contremarches, à la recherche d’un passage, à l’instar du 25e régiment de mobiles (ier, iie & ive bataillons de la Gironde) qui erre durant 10 heures dans le secteur de Chevilly, le 2 décembre, pour atteindre Dambron, lors de la bataille d’Orléans. D’autre part les accidents du terrain sont rarement utilisés lors des combats ; les bois sont considérés comme inutiles et sans danger.
La doctrine militaire française est basée sur la bravoure où l’Armée française excelle depuis les guerres d’Italie du xvie siècle – la furia francese – : corps à corps à la baïonnette, refus de reculer sous le feu ennemi, en particulier de l’artillerie. La victoire revient à celui qui couche sur le champ de bataille, d’où quasiment pas d’exploitation des succès en poursuivant l’ennemi pour l’anéantir. L’Armée allemande, elle, depuis Sadowa, privilégie la puissance de feu : préparation d’artillerie avant les assauts de cavalerie ou d’infanterie, reflux ordonnés des troupes devant la résistance française, pour mieux contrattaquer.
Tout ceci n’empêcha pas les Français de se comporter au mieux : « les Français, des lions commandés par des ânes » selon le mot, cruel, attribué à Bismarck.
Ce conflit est en Europe (en Amérique la guerre de Sécession – 1860-1865 – l’a précédée) la première guerre moderne de masse. Guerre moderne : la puissance de feu matérielle supplante le courage des hommes, au combat l’ennemi est trop loin pour être visible. Outre l’artillerie, l’armement a connu un saut qualitatif : le Dreyse allemand est à canon rayé ce qui améliore portée de tir – 600 m – et précision, se charge par la culasse – les fusils antérieurs se chargeaient par le canon nécessitant pour ce faire la position debout -, avec une cadence de tir de 6 à 8 coups/minute en toute position – couché, assis, debout. Le Chassepot français, bien que s’encrassant facilement, lui est supérieur : chargement par la culasse, précision et portée maximale à 1 700 m, cadence de tir de 7 à 14 coups/minute. Déjà employée en Amérique, la mitrailleuse fait son apparition. La violence des blessures effare même les médecins militaires ; la fréquence des blessures comminutives (éclatement des os) est impressionnante. Guerre moderne, car hors siège, on se bat en toutes saisons, de jour comme de nuit (le 12 janvier 1871 à Chanteloup – cne Sillé-le-Philippe, Sarthe – les 2e, 6e & 7e compagnies du ve bataillon des mobiles de la Gironde, encerclées, ne rendent les armes qu’à la nuit noire après avoir essuyé une dernière salve), en tout lieu : bois, ferme, maison, cimetière (Saint-Privat, Loigny)… Guerre de masse : le champ de bataille ne peut plus être couvert d’un seul regard depuis une éminence et le général n’a plus de vue d’ensemble. La peinture militaire s’en ressent : Alphonse de Neuville, Édouard Detaille, etc., ne représentent plus en une toile la bataille en panorama, mais des épisodes avec des combattants anonymes (Le cimetière de Saint-Privat, La dernière cartouche, Reichshoffen). Les batailles sont une succession fragmentée de combats autonomes, durent plusieurs jours : celle de Metz s’étend sur cinq jours (14 au 18 septembre 1870) et comprend les combats de Borny, Rezonville, Gravelotte, Saint-Privat ; et engagent des effectifs considérables. La guerre franco-prussienne préfigure la Première Guerre-mondiale. Bien plus brève, elle est proportionnellement tout aussi meurtrière dans les deux camps (estimation de 100 000 à 200 000 morts ou disparus de part et d’autre).
Après la capitulation de Sedan, le 2 septembre 1870, les Allemands s’attendant à ce que la France capitule, sont fort surpris que la guerre continue. La faute à Gambetta, dont la ligne jusqu’au-boutiste l’emporte dans un premier temps sur celle de Thiers. C’est la période de la Défense nationale. L’armistice est signé le 28 février 1871, et la paix de Francfort le 10 mai 1871.

La guerre de 1870 eut un profond retentissement. Elle suscita les premiers monuments aux morts, dès le mitan des années 1870. À Bordeaux ceux des cimetières de la Chartreuse, protestant de la rue Judaïque et juif du cours de l’Yser sont de 1875. Le Souvenir Français, créé en 1887, a pour vocation par l’entretien des tombes de conserver la mémoire des morts pour la Patrie ; très tôt, l’odonymie va rappeler les provinces perdues (cours Alsace-Lorraine), glorifier les chefs (Chanzy, commandant Arnould) et batailles – souvent des défaites – où s’illustrèrent les combattants originaires du département (Á Bordeaux : rues de Varize, Nuits etc.) ; enfin, dès les années 1880 apparaissent les premières sociétés d’anciens combattants, bientôt suivies d’amicales d’anciens militaires ; jusqu’aux débuts de la guerre de 1914-1918 la mémoire héroïsée en est exaltée (parution en 1913 de l’ouvrage du colonel Bujac, Mobiles, Mobilisés, Corps Franc de la Gironde ; en 1915, de l’Historique du 5e Bataillon des Mobiles de la Gironde, suivi d’une Notice sur la Société du 5e Bataillon, par Jacques Boucherie et Armand Vigneau). Seule la Victoire de 1918 va occulter les souvenirs de 1870-71.
Jean-Paul CASSE
Centre Généalogique du Sud-Ouest
[*]. Cet article s’insère dans un projet de recherche mené par le Centre généalogique du Sud-Ouest en vue du cent-cinquantenaire de la guerre de 1870-1871, plus particulièrement centré sur le personnel du ve bataillon des mobiles de la Gironde, des Tirailleurs girondins et des Francs-Tireurs commandés par Tailleuret, l’historique de ces corps, et de façon plus générale le vécu de la guerre à Bordeaux, et les traces mémorielles de toutes sortes pouvant être recensées sur le territoire du département de la Gironde et des lieux de combats où furent présentes les unités girondines. Toute information, contribution ou aide est la bienvenue. Un deuxième article traitant plus spécifiquement des mobiles, mobilisés et corps-francs girondins paraîtra dans la livraison de mai-juin (J.-P. C.)