On nous avait promis Mars, on aura la Lune !

septembre/octobre 2009
Nouvelle exposition Rotation de ON AURA LA LUNE
Nouvelle exposition Rotation de ON AURA LA LUNE

La NASA, en une sorte d’hommage posthume à Hergé, envisage une présence humaine permanente sur notre satellite en 2020.  » Objectif Lune « , l’expédition narrée par le célèbre album de Tintin astronaute, est donc programmé par la NASA. L’exploit technique ne serait certes pas négligeable. On peut cependant légitimement poser une question : que va-t-on faire sur un astre qui a déjà livré beaucoup de ses secrets ? Préparer une expédition martienne, nous répond-on. N’est-ce pas plutôt le plus sûr moyen de la repousser à la fin de la première moitié du siècle, ou dépenser tous les crédits qui devraient lui être consacrés ?

Installer une base lunaire permanente serait un exploit technique certainement plein d’enseignements pour les futures missions astronautiques. Construire la fusée capable de transporter le matériel nécessaire aux astronautes installés sur notre satellite fera sans doute progresser la technique utilisée pour le lanceur martien, de même que la définition de l’habitacle où devront vivre durant deux ans les explorateurs de la planète Mars. Il leur faudra en effet attendre la  » fenêtre  » propice au décollage du retour. Ils devront pendant ce temps être protégés des radiations solaires : flux de particules très énergétiques émises par des éruptions prévisibles seulement à très court terme. Les rayons cosmiques produits par les phénomènes les plus violents, galactiques ou extragalactiques, seront encore plus redoutables. Produire l’eau et l’énergie nécessaires à la vie des colons sur la base lunaire nécessitera déjà le transport d’une véritable usine de traitement. Une navette de vaisseaux lunaires d’approvisionnement devra être établie. Si les orbiteurs martiens ont en effet détecté de l’eau en abondance sur la planète rouge, sa présence sur la Lune reste très hypothétique. L’énergie nécessaire aux futurs vaisseaux martiens assemblés sur place existe-t-elle dans le sol ou le sous-sol lunaire bombardé sans cesse par des rayonnements très énergétiques ? Il semble que l’hélium 3 soit abondant dans le régolite lunaire. Mais l’extraire nécessitera de gros moyens techniques, le transformer en carburant utilisable par les fusées encore plus.

La question se pose donc de savoir si la préparation d’une expédition martienne dans des sites terrestres, choisis pour la similitude des paysages et des conditions climatiques, ne serait pas moins coûteuse et tout aussi efficace. Une association intitulée Mars Society, dirigée par un ingénieur de Lockheed-Martin, a déjà commencé la préparation de volontaires pour cette mission. L’entraînement, dans les stations orbitales, des hommes qui devront séjourner dans un milieu confiné durant un voyage de six mois, a déjà prouvé la résistance humaine à une telle épreuve. Mais l’éloignement de la Terre mère de plus de soixante millions de kilomètres privera les cosmonautes de la possibilité de tout secours rapide et de toute communication instantanée avec la Terre. Ce sera sans doute le séjour obligé de deux ans sur Mars pour attendre la  » fenêtre  » favorable qui imposera aux hommes l’épreuve la plus dure.

Planette Mars - Marcou
Planette Mars - Marcou

Au lieu donc d’envoyer sur la Lune le module de vie et l’usine de fabrication du carburant du retour, ne vaudrait-il pas mieux l’envoyer sur Mars avant le lancement de la fusée habitée comme le suggère Robert Zubrin ? Il faudra, en effet, éprouver ce matériel in situ et sur une longue période pour assurer le retour des astronautes. Les lanceurs de l’expédition Apollo (photo ci-contre) seraient cependant inadaptés à de telles missions. La priorité est donc la conception et la construction d’un lanceur beaucoup plus puissant utilisant des moteurs-fusées de nouvelle génération; seule une étroite collaboration internationale pourrait y parvenir. Les technologies des moteurs-fusées n’ont guère évolué depuis la fusée Saturne V de l’expédition Apollo. Ceux de la fusée Arès V, prévue pour la mission lunaire, nommée Constellation, utilisent cependant les mêmes moteurs optimisés. Le détour par la Lune semble donc un gaspillage financier et la réédition d’une opération à pilotage idéologique qui rappelle l’époque de la guerre froide. L’humanité a fait les premiers pas dans l’espace de la banlieue terrestre, mais la conquête du système solaire sera un tout autre défi. Le relever nécessitera une étroite collaboration technique et financière internationale focalisée sur un projet scientifiquement crédible.

Si donc la mission Apollo était à  » pilotage idéologique « , la mission martienne, certes, le sera tout autant. En effet, le budget pharaonique nécessité par la nouvelle expédition lunaire ne rencontrera certainement pas l’enthousiasme provoqué par le défi kennédien ; n’en sera-t-il pas de même pour une mission martienne ? Bien des questions restent à poser aux décideurs politiques et scientifiques alors que les trois quarts de l’humanité vit sous le seuil de l’extrême pauvreté et considère ces expéditions comme un gaspillage scandaleux.

Quelles seront d’abord les retombées économiques d’une telle expédition qui pourraient la crédibiliser ? Nous savons certes que les conflits, comme les grands défis technologiques qui accélèrent la recherche, sont responsables de progrès majeurs qui ont changé notre vie. Médicaments nouveaux, matériaux révolutionnaires, progrès dans le domaine des transports et des communications, et peut-être surtout une nouvelle vision de l’avenir de l’humanité peuvent en résulter. L’importance et la complexité des programmes engagés permettra peut-être même de relancer la croissance comme le souhaitent nos économistes. Ainsi, le prix prohibitif de cette entreprise pourrait se révéler bénéfique pour tous !

Mais la question essentielle est sans doute autre. Quel est l’intérêt scientifique d’une telle mission ? Des voix nombreuses, en effet, font remarquer que les robots actuels, dont la télévision nous montre les exploits, font aussi bien que des hommes le travail de recherche qui leur est assigné. Leurs investigations actuelles sont-elles suffisantes ? Peuvent-ils remplacer totalement des hommes pour répondre aux questions fondamentales que nous nous posons sur les planètes et l’Univers ? Ils sont en tout cas la préparation indispensable et prioritaire pour repérer les sites les plus favorables à une intervention humaine nécessaire pour lever certains doutes. L’évolution géologique et climatique du milieu martien nous en apprendra plus sur notre propre évolution que les pierres lunaires rapportées par les astronautes de la mission Apollo. Mais seule, en définitive, une longue étude humaine in situ nous permettra de répondre aux questions que se posent les astronomes.

Planète Terre
Planète Terre

J’oublie la plus importante sans doute : sommes-nous seuls dans l’Univers ? Le phénomène OVNI illustre bien cette hantise de notre solitude cosmique au moment où nous découvrons la richesse et la multitude des solutions imaginées par le Cosmos pour créer la matière-énergie, les éléments chimiques de la complexité évolutive et surtout la vie qui en émerge. La vie est-elle une exclusivité terrestre ? On a pratiquement la certitude qu’une chimie active dans les espaces interstellaires ensemencés par l’explosion des supernovae produit les briques élémentaires de la vie : les acides aminés. Certaines théories prétendent même que les comètes et les astéroïdes se sont chargés d’ensemencer les planètes. La probabilité qu’une vie primitive, stoppée par une évolution hostile, ait émergé sur Mars, n’est donc pas négligeable. Certains exobiologistes même n’excluent pas la possibilité d’une vie  » embryonnaire  » dans des océans sous-glaciaires suspectés sur Europe et même Titan. Une autre question découle de la précédente : quel est l’intérêt pour la science de savoir qu’une vie bactérienne a pu émerger sur des astres lointains dans des milieux très hostiles à une vie de type terrestre ? Cette question intéresse-t-elle le commun des mortels de la planète Terre ? La réponse à ces questions est sans doute fondamentale. En effet, s’il faut rappeler que la science n’a pas pour objectif de répondre seulement aux besoins prioritaires qui obsèdent à juste titre beaucoup de nos frères humains, en revanche elle modifie parfois fondamentalement notre vision de notre statut de terriens et de l’avenir humain. Si nous découvrions des formes de vie, mêmes primitives, sur d’autres astres, notre conception de la destinée humaine en serait bouleversée.

Une telle conquête de la Science serait à coup sûr une grande conquête pour la pensée. Faire éclater nos limites terrestres spatio-temporelles ne nous affranchirait pas pour autant des limites imposées par notre origine matérielle.

Les enjeux scientifiques de l’expédition martienne sont donc d’une tout autre portée que ceux d’une nouvelle  » escapade  » sur la Lune.

Jean MARCOU

Société Astronomique de Bordeaux