L’utilisation du bois des Pyrénées pour la construction navale sous l’Ancien Régime.

mars/avril 2010

Ce n’est qu’à partir de 1629 à l’arrivée au pouvoir de Richelieu, relayé par Colbert en 1661, que la monarchie française entreprit d’organiser sa marine de guerre de manière rationnelle.

Auparavant on construisait des navires quand une guerre ou une opération militaire exigeait un appui maritime. On y travaillait dans l’urgence et selon des plans toujours plus ou moins fantaisistes, au gré des responsables du moment.

Le bois ne manquait pas. Depuis que Philippe le Bel avait créé en 1291 l’administration des Eaux et Forêts les rois de France possédaient une réserve forestière immense. Les forêts qui entourent Paris en portent encore le témoignage, mais la plus grande était et reste encore la forêt de Tronçais avec ses 10.000 hectares et ses chênes multi centenaires.

L’originalité de l’initiative des deux grands ministres du XVIIe siècle fut de concevoir des arsenaux bien équipés et de former une élite d’ingénieurs capables de concevoir des modèles de navires exactement adaptés aux besoins des opérations de leur époque.

Photo 1 : Reconstitution d'un train de bois à la fête annuelle des radeleurs
Photo 1 : Reconstitution d'un train de bois à la fête annuelle des radeleurs

Un édit de louis XIII du 29 mars 1631 décida de l’obligation pour les navires de guerre de dépendre du Roi. En cette même année fut créé l’arsenal de Brest et décidé d’élever au niveau d’un arsenal royal l’embryon d’installation qui existait à Toulon. En 1666, Colbert créa l’arsenal de Rochefort.

Sur le plan de la construction navale, une école de marine fut créée en 1741. Sa direction fut confiée à Duhamel du Manceau, savant ingénieur de renommée internationale. En 1765, l’institution prit le nom d’école des Ingénieurs Constructeurs. Elle est l’ancêtre de l’école du Génie Maritime.

Ces fortes structures permirent l’inventaire et la collecte des bois disponibles dans tout le royaume. Le cas des bois employés pour la mâture présentait un cas particulier en raison des qualités exigées que de la difficulté à en trouver à l’intérieur du royaume. Le passage suivant extrait de l’Art de la Mâture (Nicolas Charles Romme, 1741) donne une bonne idée des problèmes posés par l’approvisionnement de ces bois.

« Si les mâts d’un vaisseau doivent être susceptibles d’une très grande résistance, ils doivent aussi être doués d’une certaine flexibilité : trop de raideur dans les fibres produiront bientôt leur rupture et trop de mollesse empêcherait qu’ils ne fussent maintenus et fixés dans une position invariable. Cette flexibilité nécessaire et cette juste solidité semblent se réunir dans les pins et les sapins. La légèreté propre à ces bois et la hauteur à laquelle ils s’élèvent, contribuent à les faire adopter préférablement à tout autre bois, pour former les mâts des vaisseaux.

On trouve en plusieurs lieux et sous divers climats des arbres de cette espèce qui sont assez élevés pour la mâture ; mais des qualités distinctives ne les rendent pas tous également convenables. Cet arbre se trouve dans le Nord de la France, dans l’Acadie, au Canada, à la Louisiane, sur les Pyrénées, dans la Savoie, l’Auvergne et la Catalogne ; mais les bois du Nord ont sur ceux des autres régions une supériorité qui les rend préférables. Ils ont le cœur menu, le grain fin, les fibres en sont flexibles et le bois est pénétré d’une gomme ou d’une résine abondante qui le nourrit et l’entretient longtemps après qu’il ait été abattu. » (L’art de la mâture, p. 31)

hoto 2 : Entaille du chemin de la mâture
hoto 2 : Entaille du chemin de la mâture

Dès son arrivée au pouvoir, en 1629, Richelieu, soucieux de trouver des bois à l’intérieur des limites du royaume, fit prospecter les forêts des Pyrénées. Plusieurs massifs forestiers furent identifiés. La carte jointe indique l’emplacement des huit principales forêts : Iraty, Arette, Lhers, Issaux, Gabas, Sainte-Engrâce, le Pack et le Benou. Toutes furent exploitées à des époques variables. Toutes avaient en commun leur accès difficile, les difficultés d’y établir des chantiers et les problèmes d’évacuation des bois.

Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, il apparut que les pins des Pyrénées pouvaient apporter une bonne solution. Plusieurs essences s’y trouvaient exploitables et ce sont essentiellement les sapins qui étaient recherchés, mais les hêtres furent aussi coupés pour divers usages maritimes, avirons, planches de bordé par exemple.

La forêt d’Iraty fut exploitée la première et le resta pratiquement jusqu’à aujourd’hui. On y utilisa d’abord la sortie par le versant espagnol puis plus tard par le ruisseau de Lauhribat.

Les bois de Sainte-Engrâce sortirent par le Saison et ceux de Gabas par le gave d’Ossau ; les bois de la forêt d’Arette par le Verd, ceux de Lhers par le gave d’Aspe à partir du pont de Lescun. Les bois de la forêt de Benou sortaient par le gave d’Ossau. Les bois de la forêt d’Issaux devaient atteindre le col de Bouescou pour descendre jusqu’à Athas par le ruisseau de Malagar. Les bois de la forêt du Pack descendaient jusqu’à Athas, sur le gave d’Aspe.

Les détails sur les méthodes d’exploitation nous sont parfaitement connus grâce à une abondance de documents et, pour la vallée d’Aspe, par le mémoire de Leroy, ingénieur qui a eu la charge de l’exploitation des bois de la forêt du Pack.

Deux points doivent d’abord être précisés : la mise en adjudication des chantiers que prévoyait le projet initial et la mise en place d’établissements logistiques propres à l’administration de la Marine.

– Des marchés furent conclus avec des entrepreneurs qui devaient opérer sous la surveillance des ingénieurs de la Marine. On connaît le nom du premier adjudicataire de la vallée d’Aspe, un certain Gabé qui signa, en 1719, un contrat par lequel il s’engageait à fournir 4.000 mâts de vaisseaux. Pour différentes raisons le système échoua et en 1764 fut créée une régie royale.

– Deux établissements au moins furent créés, le bureau de la Marine de Laruns en vallée d’Ossau et le port d’Athas en vallée d’Aspe. Les pins des Pyrénées nécessitant un maintien constant en milieu humide pour éviter leur dessèchement, le stockage des fûts destinés à la mâture nécessita l’installation, à Athas, au débouché des bois de la forêt d’Issaux, d’un véritable arsenal comportant des fosses pour l’immersion des bois ainsi que des hangars de stockage. Le port d’Athas, géré par la Marine Royale fut créé en 1693 et fonctionna jusqu’au début du XIXe siècle. Son emplacement resta propriété de la Marine jusque dans les années 1950.

Avant de parvenir au port d’Athas, les bois subissaient une suite d’opérations bien organisées : La coupe qui se faisait selon les marquages préalables se pratiquait à la cognée dans des endroits généralement très difficiles d’accès. La main d’œuvre très spécialisée était plutôt recrutée parmi les Basques. L’art des bûcherons consistait à ne pas laisser tomber les fûts dans le ravin en disposant des glissières. C’était toute la difficulté de l’opération de descente des bois. Dans le cas de la forêt d’Issaux les ouvriers construisaient de véritables chemins suspendus pour permettre aux bois de descendre jusqu’aux sentiers accessibles aux attelages de bœufs. Dans le cas de la forêt du Pack, l’ingénieur Leroy fit pratiquer dans la montagne une entaille gigantesque d’une longueur de 1.200 mètres. Ce passage, emprunté aujourd’hui par l’itinéraire d’un chemin de grande randonnée, est devenu une des attractions de la Haute vallée d’Aspe. Venait ensuite le charroi. Les bois chargés sur des véhicules spéciaux appelés trinqueballes, tirés par des bœufs attelés parfois jusqu’à six paires, étaient acheminés à Athas et stockés. L’acheminement jusqu’à Bayonne commençait par le radelage. Pendant une courte période favorable, de mars à juin/juillet selon les années, quand le niveau du gave le permettait, le personnel du port d’Athas regroupait les bois et formait des radeaux. Ces engins flottants conduits par du personnel spécialisé, les radeleurs, descendaient le gave jusqu’à Pau. Là, d’autres regroupements se faisaient pour remorquer les bois jusqu’à Bayonne.

La présence de l'auteur donne une idée des dimensions de l'entaille
La présence de l'auteur donne une idée des dimensions de l'entaille

Le fonctionnement du port d’Athas a duré trois quarts de siècle et pendant cette période beaucoup d’hommes de la vallée d’Aspe y ont trouvé un emploi, surtout pendant la période active d’exploitation des grandes forêts de la mâture, de 1766 à 1778.

On a beaucoup recruté ailleurs : Basques, spécialistes du Couserans et d’Espagne pour le radelage. De nombreux corps de métier étaient représentés : bûcherons, radeleurs, bouviers, ouvriers de ferronnerie, menuisiers et charpentiers, etc.

« Les ouvriers sont répartis en brigades de 25, y compris le brigadier. Le genre de vie qu’ils sont obligés de mener à la forêt […] n’est supportable qu’aux gens du pays, aux Basques surtout qui forment le plus grand nombre

Chacun apporte le lundi sa provision de farine de milloc ou blé de Turquie(1) pour la semaine. À l’heure du repas, ils en délayent un peu avec de l’eau et forment un gâteau qu’ils font cuire sous la cendre.

Les ouvriers logent sur les lieux même de leur travail. Ils construisent des cabanes avec des planches de rebut […] on leur délivre une couverture de laine pour deux. Le lit est formé de branches de sapin.

Une vie si dure, accompagnée de dangers continuels n’est compensée que par la salubrité de l’air et des eaux. Il est rare d’y voir des malades et ils ne périssent guère que par accident. » (mémoire de Leroy).

Les Aspois conservent la mémoire de cette exploitation. Une maquette du port d’Athas est visible au musée de Lourdios et chaque année une fête des radeleurs reconstitue le voyage d’un train de bois mené par ceux-ci (photo 1).

Robert CHEVET,

Société spéléologique et préhistorique de Bordeaux

(1) Alors l’un des noms du maïs.

 

Bibliographie

– LEROY (Paul-Marie), L’exploitation de la mâture dans les Pyrénées, 1766, réédité par Monhélios, Gurmençon 1988

– ROMME (Nicolas Charles), l’Art de la Mâture, 1741.