L’Observatoire astronomique de Bordeaux au XXe siècle

septembre/octobre 2012

Introduction

L’analyse des causes de l’échec de la guerre franco-prussienne conduit le Gouvernement à relancer et développer les universités en France et à y associer des observatoires. Par le décret du 11 mars 1878, trois nouveaux observatoires astronomiques sont créés à Besançon, Bordeaux et Lyon. Pour Bordeaux, les objectifs sont de procurer l’heure exacte aux Bordelais et aux navires en stationnement dans le port, mais également de contribuer à la formation des étudiants de la Faculté. Au terme de longues discussions, la ville contracte un emprunt de 6 600 000 francs dont 100 000 sont affectés à l’observatoire en 1876. Le domaine de Monfragueys à Floirac est acquis par l’état en 1877. Dès lors, Georges Rayet, nommé directeur, conçoit les trois lunettes, méridienne et équatoriales de 14 et 8 pouces, qui équipent l’observatoire dans les années 1880 et les bâtiments qui les abritent. Il investit également dans le premier grand projet international d’astronomie de la « Carte du Ciel » avec l’installation d’une lunette équatoriale photographique en 1892(1). Puis il participa à l’observation de l’éclipse totale de soleil à Burgos en août 1905 avant de décéder le 14 juin 1906 à Floirac.

Rayet Georges
Rayet Georges

Au XXe siècle

Luc Picart (1867-1956) entre à l’observatoire de Bordeaux en 1888 et devient maître de conférences en mathématiques en 1896. Il soutient une thèse de doctorat en mathématiques appliquées à l’astronomie en 1892. Nommé professeur à la Faculté des sciences de Lille en 1898, il est rappelé à Bordeaux fin 1906 pour prendre la succession de Georges Rayet. Il est directeur de l’observatoire jusqu’en 1937. Au cours d’un mandat de 30, Luc Picart n’introduit aucun nouvel instrument d’observation, car il y avait de nombreux travaux à effectuer avec les instruments existants. Il y fait apporter des améliorations avec l’utilisation de l’électricité. Une comparaison des deux périodes de direction de Georges Rayet et de Luc Picart(2) reflète la personnalité des directeurs respectifs. La période de direction de Luc Picart est marquée par une dominance de l’astrométrie, avec un rééquilibrage de thématiques comme l’astronomie physique, les travaux théoriques, l’histoire et la vulgarisation des sciences et l’émergence de la physique.

Luc Picard
Luc Picard

Quand Luc Picart prend sa retraite en 1937, Gilbert Rougier (1886-1947) est nommé directeur. Astronome à l’observatoire de Strasbourg, il a effectué de nombreux travaux en photométrie qu’il va poursuivre à Floirac, tout en obtenant des fonds pour construire un nouveau bâtiment important qui est terminé en 1942. Ce bâtiment, actuellement dénommé  » Bouguer « , a ses façades décorées par cinq médaillons sculptés de signes du zodiaque inspirés des motifs de la cathédrale de Strasbourg. Il comporte des bureaux, une grande bibliothèque, un laboratoire d’optique et un atelier de réalisations mécaniques très précises. Gilbert Rougier obtient également des crédits pour construire une nouvelle coupole avec une salle attenante, sous laquelle il installe une table en fonte à structure en nid d’abeilles sur une monture équatoriale. Un tel dispositif permet d’accepter différents instruments comme un télescope de 60 cm de diamètre installé maintenant depuis plusieurs années. La maladie emporte Gilbert Rougier le 10 mars 1947.

Gilbert Rougier
Gilbert Rougier

Pierre Sémirot (1907-1972), alors chef du Service méridien de l’Observatoire de Paris, est nommé directeur, après avoir effectué sa formation sous la direction de Gilbert Rougier. Sous sa direction, le nombre de personnels de l’observatoire, tant astronomes que techniciens s’accroît largement. Les mesures traditionnelles d’astrométrie au cercle méridien et pour la Carte du Ciel sont régulièrement assurées par tous les astronomes qui peuvent également développer en parallèle des recherches personnelles sur le thème de leur choix. Il obtient également des financements pour la construction d’un bâtiment qui porte encore son nom.

Pierre Sémirot
Pierre Sémirot

Son initiative remarquable est l’introduction de la radioastronomie à l’observatoire de Bordeaux et, en parallèle, le développement d’un laboratoire d’électronique. La radioastronomie découverte au cours de la Seconde Guerre mondiale est développée à l’école normale supérieure sous l’impulsion d’Yves Rocard (1903-1992). En 1964, Pierre Sémirot fait venir de l’Observatoire de Meudon un ancien radar allemand fabriqué à Würzburg, et monté en un pacifique radiotélescope. Cet instrument est utilisé pendant deux décennies pour la surveillance de l’activité solaire puis, tombé en désuétude, il a été récemment rénové, doté d’un nouveau récepteur et mis à la disposition des radio-observateurs professionnels et amateurs(3).

Le radiotélescope Würzburg
Le radiotélescope Würzburg

Dans le chœur, le Bon Pasteur apparaît à la verrière axiale, encadré par Saint Pierre, dédicataire de l’église, portant la clef et Saint Paul portant le livre, suivant la thématique ancienne de la traditio legis, traditio clavum. après deux panneaux symétriques de grisaille, garnis d’un réseau couvrant de grappes de raisins à symbolique religieuse forte (il n’y a pas que la connotation du vignoble voisin), Saint Jean évangéliste, offert par Jean Calvet dont il est le saint patron et saint Bernard en vis-à-vis offert par un Blanchy dont un fils porte le prénom.

Forts de l’expérience acquise avec le radiotélescope Würzburg, le laboratoire d’électronique, l’atelier de mécanique et le tout nouveau service informatique conjuguent leurs efforts pour la conception et la réalisation d’un interféromètre en ondes radio à deux antennes, distantes de 66 m et alignées dans la direction est-ouest, sous la responsabilité de Jean Delannoy (né en 1931), qui vient prendre la direction de l’observatoire en 1970. Trop limité en sensibilité, l’interféromètre ne donne pas de résultats scientifiques marquants. Une antenne est équipée en 1978 d’un récepteur micro-ondes qui, jusqu’en 1990, permit à la jeune génération d’astronomes français et étrangers de se former aux observations en ondes radio millimétriques avant d’utiliser le radiotélescope franco-allemand-espagnol de 30 m à Pico Veleta, Espagne, et l’interféromètre à quatre, puis six antennes du Plateau de Bure dans les Alpes. Les radioastronomes bordelais sont également investis dans les observations à l’aide du satellite européen Herschel et commencent à utiliser le grand instrument international ALMA (Atacama Large Millimeter Array) situé à 5 000 m d’altitude au nord du Chili.

Avec la Loi Edgar Faure de novembre 1968, la période de direction des établissements supérieurs est limitée à cinq ans. Fernand Poumeyrol (né en 1927) succéda à Jean Delannoy de 1975 à 1981. Jérôme de La Noë (né en 1941), de 1981 à 1987, put faire construire une extension du bâtiment Sémirot, dénommée bâtiment Messier (du nom de l’astronome Charles Messier (1730-1817) découvreur des nébuleuses et des galaxies). Ce bâtiment fut inauguré par Jacques Chaban-Delmas (1915-2000) en décembre 1986. .

Jacques Colin (né en 1945) assure la direction de 1987 à 2000. Mais, début 2000, le Laboratoire d’Astrodynamique, d’Astrophysique et d’Aéronomie de Bordeaux est associé au laboratoire EPOC (Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux) pour fonder l’Observatoire Aquitain des Sciences de l’Univers, dirigé d’abord par Alain Castets (né en 1946), de 2000 à 2006, puis par Francis Grousset (né en 1948) de 2007 à fin 2011, et depuis 2012 par éric Villenave.

Le développement de l’astrométrie est poursuivi avec la rénovation de la lunette méridienne par Yves Requième, qui fut largement utilisée pour la préparation du catalogue d’entrée du premier satellite de mesures astrométriques européen HIPPARCOS (Yves Requième et Jean-Michel Rousseau), la mesure des phénomènes mutuels des satellites de Jupiter et de Saturne (Gérard Dourneau) et la mesure des étoiles doubles et des astéroïdes (Guy Soulié). L’étude de la lumière zodiacale est également développée en collaboration avec le futur Institut d’Astrophysique des Canaries (René Dumont) ainsi que la spectrophotométrie des nébuleuses planétaires (Marguerite Chopinet). À partir des années 1980, de nouvelles thématiques sont introduites : comme la mesure des oscillations solaires (Jean-Maurice Robillot et Roméo Bocchia), l’étude de la haute atmosphère neutre et la couche d’ozone (Jérôme de La Noë et Philippe Ricaud), la planétologie avec l’étude des atmosphères planétaires (Jean-Paul Parisot) et de la sub-surface de Mars (Philippe Paillou). Patrick Charlot développe les techniques radio de Very Long Baseline Interferometry (VLBI) réunissant astrométrie et radioastronomie avec différentes applications dues à l’extrême précision obtenue de 10 picosecondes. On accède ainsi à la structure de sources extragalactiques, normalement considérées comme ponctuelles. Enfin, un groupe de théoriciens (Jean-Marc Hutré) rejoint le Laboratoire d’Astrophysique de Bordeaux, et Franck Selsis réunit un groupe de jeunes chercheurs sur la thématique des planètes extra-solaires.

Quel devenir ?

À l’heure actuelle, le site original de l’observatoire astronomique de Bordeaux à Floirac est menacé par le transfert du laboratoire sur le campus de Talence. C’est donc à l’Université Bordeaux I, dont dépend l’observatoire, d’organiser un tel transfert non prévu dans ses projets et ses moyens financiers. Ceci explique que le transfert du laboratoire est retardé à 2014-2015. En 2010, l’arrêté de protection et d’inscription aux Monuments historiques du site de l’observatoire a été signé par le préfet.

Alors, quel devenir pour le site ? Il est actuellement impossible de l’envisager sérieusement, faute d’une instance qui déciderait de prendre en compte son futur après le départ des astronomes, afin de préserver cet endroit dédié au développement de l’astronomie moderne, propice à l’étude dans un environnement paysager, tout en possédant un caractère historique indéniable.

Jérôme de La Noë
Directeur de recherche CNRS honoraire
Observatoire Aquitain des Sciences de l’Univers
Laboratoire d’Astrophysique de Bordeaux
Centre généalogique du Sud-Ouest

Notes :

(1) MAISON (Laetitia), La fondation et les premiers travaux de l’observatoire astronomique de Bordeaux (1871-1906) : Histoire d’une réorientation scientifique, Thèse de doctorat d’épistémologie et d’histoire des sciences de l’Université Bordeaux I, 2004, 431 p..
(2) DE LA NOË (Jérôme), « L’observatoire astronomique de Bordeaux : quelle histoire ! », in Bulletin de la Société Archéologique de Bordeaux, Bordeaux, 2013, à paraître.
(3)  Site web : https://www.facebook.com/Radiotelescope-Wurzburg-489822627729381/