Les Tirailleurs volontaires de la Gironde depuis Tirailleurs girondins (1er septembre 1870/mai 1871)*

(*) Cet article publié en rapport avec le voyage d’étude annoncé dans l’encadré, est la dernière partie d’un texte plus long sur les corps-francs girondins dans la guerre franco-prussienne, qui paraîtra dans une prochaine livraison.

Septembre/Octobre 2020

Les Tirailleurs volontaires de la Gironde, devenus par décision gouvernementale du 29 novembre 1870 Tirailleurs girondins, sont un corps-franc hybride, puisqu’il est aussi un corps spécial de la Garde nationale sédentaire de Bordeaux. Ceci justifie que Gibert, adjoint chargé des affaires militaires, puisse décider, fin novembre, que des renforts destinés à la 1re compagnie soient envoyés à la 2; et que la 3e compagnie soit dissoute par le Conseil municipal.

Prémices et recrutement
Le 1er septembre deux lettres sont adressées au chef d’état-major de la garde nationale bordelaise, Ordinaire de Lacolonge. Le premier, d’Henri Balaresque, suggère, le temps que la garde nationale soit organisée, de constituer en tirailleurs, avec une tenue noire à distinctive verte, les chasseurs Bordelais, dont il serait aisé d’en recruter six cents, afin de défendre Bordeaux si l’ennemi arrivait jusqu’à la ville. Le second, de l’archiviste municipal, Ernest Gaullieur, ancien sous-officier au 1er léger, propose la création d’un corps de Tirailleurs volontaires, organisés comme les chasseurs à pied de l’armée, recrutés parmi d’anciens sous-officiers, caporaux et clairons, et de chasseurs pouvant supporter les fatigues d’une campagne. Sont prévues trois compagnies : deux de marche armées de chassepots pour aller à l’ennemi où qu’il se trouvât, et une de dépôt. Visiblement, Lacolonge fusionne les deux initiatives, sous la responsabilité de Gaullieur. Le 3 septembre, avec le préfet de la Gironde et le maire de Bordeaux, il autorise la création des Tirailleurs. Après quelques hésitations, la tenue adoptée (6 septembre) est une vareuse bleu foncé avec cors de chasse sur les revers et liserés figurant des parements sur les manches, de la couleur distinctive : vert, un pantalon gris, des guêtres noires, et pour coiffure un chapeau tyrolien orné d’une plume et d’une cocarde vertes au côté gauche, ainsi que pour la petite tenue un képi bleu foncé à bourdalou vert. Les insignes de grades sont verts. L’uniforme de la 2e compagnie est semblable, mais avec une bande noire sur le pantalon et pas de tyrolien.

Sur un total de 775 volontaires, seuls les deux tiers deviennent tirailleurs, 195 à 200 (médecin et cantinière inclus) pour la 1re compagnie, 156 portés à 171 pour la 2e (médecin compris) et 150 à la 3e. Les volontaires affluent durant le mois septembre. Ils sont de tous milieux sociaux, de toutes opinions politiques, religions, origines géographiques. La moitié environ, bien qu’habitant Bordeaux, plus exceptionnellement la banlieue, Guîtres ou le Médoc, sont nés hors de Gironde. Le doyen est Bernard Redeuil, né à Bordeaux le 22 avril 1795, le benjamin est certainement Vincent « Henri » Meunier, né à Saint-Denis (actuelle Seine-Saint-Denis), le 31 janvier 1855, mais qui déclare 18 ans pour s’enrôler.

Fig. 1 : Timbre humide de la 1re compagnie avec signature de Gaullieur (ABM, 2615 H 2, 14 novembre 1870).

La 1re compagnie : de Bordeaux à Gasville
La 1re compagnie recrute majoritairement d’anciens militaires, des propriétaires, négociants, étudiants et dans les classes sociales plutôt aisées, dispose d’un comité de soutien créé peu avant le 10 octobre 1870, présidé par Jules Prom, relayé auprès de la Mairie par le conseiller municipal Marc Maurel.

Le 9 septembre elle élit ses cadres : Emmanuel Pougnet, ancien officier de turcos et employé au Midi est capitaine, Gaullieur lieutenant et Adrien Bellier, ancien sergent au 54e de ligne et employé municipal aux Travaux publics, sous-lieutenant. Contesté et devant s’absenter pour raisons familiales, Pougnet démissionne le 21 septembre et propose Gaullieur pour le remplacer. Le 24, une solution grosse de dissensions est adoptée : Bellier passe capitaine en premier et Gaullieur capitaine en second. Le 28, les Tirailleurs vont au camp de Saint-Médard-en-Jalles, reviennent à Bordeaux passer leur revue de départ dans la cours de la mairie, le 9 octobre à 16 h 30, y reçoivent leur drapeau : noir à tête de mort blanche, puis après bénédiction du prêtre de la Madeleine et du rabbin partent depuis la gare d’Orléans pour Tours, où ils arrivent sous la pluie le 10 à midi.

Ils ne quittent Tours que le 14 octobre pour Chartres, atteinte à 22 heures. Le commandant de la place, lieutenant de vaisseau Duval, l’emploie en reconnaissance dans le plat pays ouvert. Le premier contact avec l’ennemi se produit lors de l’une d’elles, le 18, à Coltainville. Le 20, à Gasville, ils refusent en majorité d’obéir à Bellier. Avec une vingtaine de tirailleurs loyaux il rentre à Chartres. La majorité se range derrière Gaullieur, qui devant l’avancée allemande – Chartres tombe le 21 – la conduit à travers bois jusqu’à la forêt de Senonches, atteinte le 22. Le 24, les deux capitaines sont convoqués à Tours pour passer en conseil de guerre. Aucun n’est sanctionné.

Les Volontaires puis Chasseurs girondins
Bellier demeure sous les ordres de Duval. À Tours depuis le 27 octobre, sa petite troupe est affectée à l’armée de Bretagne, passe vingt jours en novembre au camp de Conlie (Sarthe) dans des conditions indignes. Le 28 novembre elle est au camp d’Yvré-l’Évêque sous le nom de Volontaires girondins. Le 7 décembre, à 20 heures, après trois jours de marche, les Volontaires, amoindris par la maladie, sont à Frèteville (probablement Frévile, cne de Logron), puis le 12 à Châteaudun. Devenus Chasseurs girondins, ils sont à Cloyes-sur-le-Loir, les 14 & 15. Outre marches et contremarches, leur fait d’armes est une incursion de 25 kilomètres en zone ennemie. Ils sont de nouveau à Yvré-l’Évêque, le 26, réduit à huit hommes.

Leur chef de division ne voulant pas de francs-tireurs, il verse, le 27, les Chasseurs à la 1re compagnie du ier bataillon (de Saint-Nazaire) des mobilisés de la Loire-Inférieure, dont Bellier devient capitaine. Le 31 ils sont à Fatines (Sarthe). Lors de la bataille du Mans, le bataillon affronte durant cinq heures à Champagné, le 10 janvier 1871, les Mecklembourgeois, et doit la nuit se replier sur Parancé. Les Girondins déplorent un blessé et le bataillon perd son commandant, que Bellier remplace tandis qu’il retraite jusqu’à Couterne (Orne), où il est signalé les 26 janvier et 13 février. Renommé iie bataillon, il est licencié à Saint-Nazaire le 6 mars.

Fig. 2 : Timbre humide du comité de soutien de la 1re compagnie avec signature de Jules Prom (ABM, 2615 H 2, 19 novembre 1870).

Sous Lipowski
Le ministre de la Guerre confirme Gaullieur dans son commandement, et l’affecte à la division Lipowski. Le 27 octobre 1870 il part pour Nogent-le-Rotrou. Dans la nuit du 29, avec des Francs-tireurs d’Eure-et-Loir les Tirailleurs occupent Dreux, évacuée le 31 après une escarmouche victorieuse contre des uhlans. Ils retraitent sur Nogent-le-Rotrou où ils sont le 3 novembre. À partir du 6 ils sont basés à Patay. De là, le 9, lors d’une reconnaissance sur Tournoisis, ils assistent à la victoire de Coulmiers. Quittant Patay pour observer les mouvements des Bavarois sur Orléans, le 27, ils occupent Civry, Nottonville et Varize, le 28, mais doivent se replier sur cette dernière, et bivouaquent sur la place de l’église. Le 29, malgré l’ordre de repli donné, Gaullieur, délibérément ou non, retranché dans le parc du château de Varize, subit de 9 heures à 12 heures 30 l’assaut des Bavarois, qui depuis les hauteurs de Civry le bombardent. Acculés dans la partie marécageuse du parc, munitions épuisées et après deux charges à la baïonnette, les 110 Tirailleurs et quelques Francs-tireurs parisiens se rendent. Le bilan est lourd : 13 morts, 37 blessés dont 18 graves, et le reste prisonniers. Les Bavarois avouent 450 morts ou blessés (le parc donnait sur une plaine découverte) dont 11 officiers. Deux Tirailleurs s’évadent sur le chemin de la captivité, le second depuis Haguenau. La captivité se passe à Kœnigsberg (auj. Kaliningrad) dès avant le 24 décembre. Certains rentrent à Bordeaux dès le 14 avril 1871, mais la plupart ne retrouvent la ville qu’en mai.

Fig. 3 : Entrée du château de Varize après la destruction de 1870.

La 2e compagnie
Officiellement créée le 21 septembre 1870, elle a pour capitaine Pougnet, sur l’instante demande de Gibert. Elle est surtout composée d’employés, commis, artisans, mais aussi de professeurs du lycée de Bordeaux, soit un recrutement globalement plus « populaire » que la 1re.

La compagnie rejoint le camp de Saint-Médard le 31 octobre, le quitte le 15 novembre pour passer sous l’autorité militaire, et le 17 à 10 h 30, part en train pour Gien, atteinte le 18 au soir ; part de Gien le 19 pour arriver à Tours le 20. Affectée au corps de Lipowski le 1er décembre, elle parvient à Orléans, le 2 à 17 heures. Elle joue de malchance et débute sa campagne par deux retraites successives, sans combattre.

Envoyée en avant d’Orléans, le 3 janvier, elle doit y retourner. La ville tombe le 4, les Tirailleurs se replient sur Olivet, puis Blois atteinte le 6 au soir. Le 8, laissé sans ordres, Pougnet décide de rallier Dhuizon, atteinte le 9 au matin. Après l’échec d’une première embuscade, les Tirailleurs retraitent nuitamment, longeant Chambord, sur Bracieux puis Cellettes, atteinte le 10à 3 heures, repartent à 7 heures pour Montils, Candé, Chaumont, Rilly, Amboise atteinte à18 heures, puis le 11 à 19 heures, c’est l’arrivée à Tours, réduits à six. Le 12, Pougnet rassemble ses hommes, et part le 14 en train à Saumur, atteinte le 15 au soir, y retrouve Lipowski le 16. Le bruit courut à Bordeaux que la compagnie avait été détruite à Chambord.

Le 18, le corps de Lipowski est envoyé au Mans pour 4 jours. Les Tirailleurs deviennent la 4e compagnie du 4e bataillon, dit Béarnais commandé par Andraud, capitaine des Francs-Tireurs béarnais. Arrivés le 26 à Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir), les Tirailleurs y restent comme éclaireurs de Chanzy, effectuant plusieurs reconnaissance jusqu’au 31. Le 1er janvier 1871, ils rejoignent leur bataillon à Berd’huis (Orne). Le 2, lors d’une reconnaissance à Rémalard dirigée par Pougnet, sont arrêtés deux espions. À Verriers du 3 au 6, le bataillon se replie le 7 à Souvigné. Le 9, Lipowski tente un coup de main sur Igé, à l’entrée de la nuit ; le bataillon béarnais se retire à Saint-Fulgent-des-Ormes, les Tirailleurs qui sont de garde capturent quelques éclaireurs allemands. Les 10 et 11 ils séjournent à Mamers (Sarthe). Le 12, un nouvel essai de coup de main, sur Mézières (sur-Ponthouin ?), est interrompu par l’annonce de la chute du Mans. S’ensuit le 13 la retraite sur Alençon, atteinte le 14.

Le 15, c’est enfin le véritable baptême du feu lors de l’affaire d’Alençon. Les Tirailleurs ont un mort, et à 20 heures 30 partent pour Carrouges, atteinte le 16 au soir. Ils y restent jusqu’au soir du 23, étant dirigés sur Sées où ils sont jusqu’au 25, puis Lisieux atteinte le 30, qu’ils quittent pour Dives-sur-Mer (Calvados), le 3 février, dont ils partent le 19. Le 28 février ils quittent le bataillon béarnais pour devenir la 1re compagnie du bataillon girondin (avec les Francs-tireurs de la Gironde), qui fut dirigé sur Vezins, où désarmés le 10 mars, ils sont licenciés le 11. Ils retrouvent Bordeaux le 15.

Fig. 4 : Timbre humide de la 2e compagnie (ABM, 1615 H 2, 1er décembre 1870).

La 3e compagnie (de dépôt)
Devant l’afflux de volontaires, la Gironde, dès le 20 septembre 1870 annonce la création d’une 3e compagnie sédentaire. De fait c’est à la suite du décret du 29 septembre mobilisant la Garde nationale sédentaire (les mobilisés) Pougnet ayant divisé sa compagnie en deux parties, que se trouve dans la dernière l’origine de la 3e compagnie. Arsène Challié, ancien sergent-major au 42e de ligne, en est capitaine. Elle fait le service de la garde nationale et instruit les recrues. Malgré ses protestations, le Conseil municipal, dans sa séance du 28 novembre 1870, n’autorise pas sa création, la dissolvant ipso facto.

Jean-Paul CASSE.
Centre généalogique du Sud-Ouest