Mars/Avril 2021
Pas que de l’infanterie légère
L’immense majorité des corps francs sont de l’infanterie légère sur le modèle des chasseurs à pied ou des zouaves. Beaucoup de départements ont des éclaireurs à cheval. À Bordeaux, J. Lafitte ex-instructeur à l’École de Saumur habitant 29 rue Fondaudège, organise à partir du 12 septembre 1870 un escadron d’Éclaireurs girondins à cheval, avec Henri Robereau qui en prend le commandement. Le 25 octobre l’escadron passe sous l’autorité militaire et compte cent cavaliers. Il quitte Bordeaux pour Tours, le 5 novembre, remplit un service d’estafette et d’escorte autour de Vendôme, puis est attaché comme éclaireurs à la 3e division du XVIIe corps de l’armée de la Loire. Les 20 et 26 novembre l’escadron se bat à Brou et Illiers-Combray (Eure-et-Loir). Le 27 décembre il est à Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher). Le 8 janvier 1871, le capitaine Robereau et son sous-lieutenant sont tués au Temple (Loir-et-Cher) lors d’une reconnaissance.
L’escadron n’était pas parti de Bordeaux que Lafitte essaya d’en monter un second, indépendant (7 octobre 1870). Ce doit être l’Escadron d’éclaireurs à cheval de Bretagne, à l’armée de Bretagne (Kératry) – d’où probablement cette dénomination – organisé à Bordeaux le 9 novembre 1870, comprenant cent cinquante cavaliers commandé par Laffite (sic). Ces éclaireurs de « Bretagne » sont dissous 14 décembre et versés dans le 1er régiment de mobiles à cheval (de Bourgoing).
En février et mars 1871, la Ville de Bordeaux vend les chevaux de l’escadron présents dans les écuries municipales.
Si quelques départements ont formé des batteries d’artillerie ou des corps du génie, la Gironde est le seul à avoir des marins : les Francs-corsaires. Leur siège est place des Chartrons dans l’ancien hôtel des Archives départementales. Mailly est l’initiateur et les commande. Organisés fin novembre 1870, ils passent sous l’autorité militaire le 9 janvier 1871, avec un effectif de soixante-dix-sept corsaires (cent cinquante d’après la liste sus évoquée). Constitués de bateliers et d’inscrits maritimes leur objectif est de forcer depuis l’aval de la Seine le blocus allemand de Paris. Le 7 février ils obtiennent de la municipalité bordelaise un supplément de solde jusqu’au 15 suivant.
Les Francs-tireurs girondins
Le 8 août 1870, à la demande du préfet, le maire de Bordeaux ouvre trois registres d’enrôlement : « 1° [des] Citoyens qui demanderont à former un bataillon pour aller immédiatement au-devant de l’ennemi ; 2° Ceux qui voudront faire partie des Francs-Tireurs volontaires ; 3° Ceux qui désireront donner leurs concours à l’Autorité, en formant une Garde Nationale sédentaire pour la défense de l’ordre dans la ville. » Le lendemain, Théophile Dubreuilh, adjoint au maire, fait parcourir la ville par des cortèges précédés d’agents de la police municipale et de drapeaux avec l’inscription : « Engagements pour la durée de la guerre », « Garde nationale Sédentaire », « Bataillon des Volontaires Girondins ». Les engagements se font en masse à la mairie et Rosas Cavasso, d’Eysines, ancien officier de ligne ou de zouave (selon les sources), se met à la tête du Bataillon des volontaires girondins. Le 10, à minuit (ou le 11 très tôt), ils sont cent deux ou cent six à partir de la gare d’Orléans pour Paris, qu’ils traversent, pour arriver à Beauvais le 12, où personne ne les attend. On leur propose alors de s’engager dans l’armée d’active ou de rentrer chez eux. La quasi-totalité persistent à vouloir former un corps de volontaires girondins. Les autorités militaires, après avoir envisagé de les joindre aux Francs-tireurs de Seine-et-Oise, accèdent à leur demande, déterminent leur uniforme d’infanterie légère : vareuse bleu foncé, pantalon bleu clair, contre-épaulette rouge, képi noir, guêtres blanches à mi-jambe, ceinturon et pistolet, fusil Chassepot, cravate bleue ; pas de sac, une simple bandoulière. Envoyés à Laon, ils sont ensuite expédiés au camp de Châlons (Marne), et se battent dans les environs de Reims et d’Épernay, perdent leurs bagages à leur troisième affrontement le 13 septembre lors de l’escarmouche de Mortcerf (Marne) contre des dragons prussiens.
Le corps est désigné comme Bataillon girondin (11 septembre), compagnie ou bataillon de Francs-tireurs girondins (à partir du 20 septembre) ou compagnie Cavasso (21 septembre). Toutefois leur timbre humide porte la mention « Francs-Tireurs de la Gironde » (cf. fig. 1). On peut le tenir pour un corps francs hybride, car suscité par les autorités, uniforme choisi et fourni par l’Armée, mais celle-ci en fait un corps-franc.
Ils retraitent avec l’armée sur Paris. Ayant subi des pertes, Cavasso et le gouvernement envoient le lieutenant Émile Godefroy et Delamarre chercher des renforts à Bordeaux où le préfet, Amédée Larrieu, les reçoit le 19 septembre, jour de l’investissement de Paris par les Allemands. Les quatre-vingts hommes recrutés par Godefroy et Delamarre vont au camp de Saint-Médard-en-Jalles le 29 septembre, passe sous l’autorité militaire le 2 octobre, jour où ils partent pour Tours. Ne pouvant rejoindre la troupe de Cavasso enfermée dans Paris, qui fusionne avec les Francs-tireurs de Seine-et-Marne, et ceux du IIe arrondissement parisien, les Francs-tireurs Godefroy alias Delamarre vont d’abord être affectés à l’armée de la Loire. Ils défilent à Tours le 11 octobre, et sont peu après affectés à l’armée de l’Est, arrivant de Besançon à Baume-les-Dames (Doubs), le 20. Ils combattent dans les Vosges. Le 23 novembre 1870 ils tentent vainement de détruire le pont d’Audincourt (Doubs), puis ils combattent à Belchamps, Vesoul, Villersexel. Au 13 décembre, selon Bujac, ils ne sont plus que trente.

Les Francs-tireurs de la Gironde
Souvent dénommés Francs-tireurs girondins, y compris par leur comité de soutien, et souvent confondus ave eux, ils en sont distincts. Le 8 septembre 1870, l’armurier Campagnac, 1 fossés du Chapeau-Rouge, fait paraître un appel et ouvre une souscription pour une Compagnie de chasseurs girondins, suscitant une confusion avec les Tirailleurs. Le nom devient Société des francs-tireurs girondins (12 septembre), Compagnie ou Corps des francs-tireurs girondins (15 & 19 septembre), compagnie Dutrénit (21 septembre). Finalement, P. Tandonnet, président de leur comité d’organisation et de soutien les désigne comme Francs-tireurs de la Gironde (fin 1870 & 18 novembre 1871). Il était prévu qu’ils portassent un costume composé « d’une tunique en drap gris à parements verts, d’un pantalon ample serré à la cheville [style zouave], d’une paire de guêtres en veau et d’un képi. »
Le Comité siège 51 rue Saint-Rémi et compte dans ses membres Alfred Daney, adjoint municipal aux finances et futur maire de Bordeaux, qui leur obtient une subvention de 15 000 francs (17 octobre 1870).
Bujac les appelle Francs-tireurs girondins et leur connaît deux compagnies ; elles sont en réalité quatre. L’ensemble est commandé par Jérôme Dutrénit et opère à l’armée de la Loire, sous Lipowski. La 1re compagnie (capitaine Dous) compte soixante hommes armés de révolvers et de chassepots, quitte Bordeaux le 3 octobre pour Tours ; la 2e (capitaine James Pontet) a cent vingt quatre hommes et part le 20 octobre ; la 3e (capitaine Moreau) totalise soixante-et-onze hommes et part le 3 novembre ; la 4e (capitaine Montels) n’atteint que cinquante hommes et passe sous l’autorité militaire le 29 novembre. À la fin de la guerre les Francs-tireurs de la Gironde constituent, avec la 2e compagnie des Tirailleurs girondins, le 4e bataillon des Francs-tireurs de Paris alias bataillon Girondin. La 1re compagnie est à Chartres le 21 octobre, lors de la chute de la ville.
Le 18 novembre 1870, avec le 36e de marche ils défendent vainement Torçay (Eure-et-Loir) contre les Hessois du grand-duc de Mecklembourg, et le 19 sont sérieusement éprouvés dans la forêt de Marcilly par un combat de quatre heures contre les 4e et 6e divisions de cavalerie et la 17e d’infanterie du même grand-duc. Ils retraitent alors sur Rouen où, selon Bujac, ils fusionnent avec les Francs-tireurs de Clermont. Le 19 mars 1871 a lieu leur revue avant licenciement.
La Légion alsacienne et lorraine
Composée primitivement d’Alsaciens et de Lorrains vivant à Bordeaux, nombreux sont toutefois les patronymes français ou gascons, elle se fixe pour but de voler au secours de l’Alsace et de la Lorraine. Le recrutement fait par son comité est réputé être excellent tant au plan physique que moral. Pourtant plusieurs officiers dont le premier capitaine de la 2e compagnie (il se réfugie à Bayonne) vont déserter dès le début de la campagne et le baptême du feu. Son représentant auprès de la Ville est l’ingénieur municipal Wolf, son bureau est le siège du comité d’organisation. Mais l’initiateur est, le 25 septembre 1870, Auguste Francké, grossiste en bières alsaciennes et lorraines, cours Le-Rouzic, et membre du noyau primitif des Tirailleurs girondins, qu’il quitte, et qui va recevoir le commandement de la 1re compagnie de la Légion. Sa première dénomination est Légion alsacienne et lorraine de francs-tireurs (25 septembre 1870) ; rapidement les derniers termes s’effacent.
La Légion, approuvée par Crémieux le 3 octobre, compte deux compagnies et une troisième est envisagée dès le 20 octobre, sans voir le jour. Le 13 octobre l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Bordeaux leur vote un don patriotique de 2 000 F, et la municipalité le 24 une subvention de deux fois 5 000 F. Le 15 octobre la Légion publie un fascicule, mode d’emploi de sabotage des lignes ferroviaires (cf. fig.2).
La 1re compagnie (Francké), de cent quarante-six ou cent cinquante hommes, quitte Bordeaux le 27 octobre, à 11 heures pour Lyon ou Besançon. La 2e (Darlas puis Vautrin puis Lapeyre), passée sous l’autorité militaire le 12 novembre, part avec ses cent quatre-vingt-cinq hommes le 16 suivant, non pour l’Est mais pour l’armée de la Loire où elle sert d’éclaireur à la 1re division du XXe corps. Elle a un tué, deux disparus et treize blessés à Beaune-la-Rolande (28 novembre 1870), deux blessés au Pont-aux-Moines le 4 décembre, lors de la bataille d’Orléans. La chute d’Orléans scinde la 1re armée de la Loire en deux : IIe armée de la Loire, armée de l’Est. Le XXe corps appartient à l’armée de l’Est. Les deux compagnies sont réunies. Elles perdent sept blessés à Villersexel (Haute-Saône) le 9 janvier 1871, puis les 16 et 17 à Hénicourt et Saint-Valbert : quatorze morts (dont Vautrin) et dix-sept blessés. La 1re compagnie est réduite à trente-deux hommes. Francké, épuisé est évacué et Lapeyre prend le commandement de la Légion. Il en ramène le 6 février les débris à Bordeaux, soit quatre-vingt hommes.
Jean-Paul CASSE
Centre généalogique du Sud-Ouest