Les Archives municipales de Bordeaux entre deux rives

janvier/février 2012

Les Archives municipales de Bordeaux, dont l’origine remonte au Moyen-Âge et à l’apparition d’une administration communale, sont l’un des services communaux les plus importants, après ceux de Lyon et Marseille. Malgré l’incendie qui ravagea les fonds bordelais en 1862, à l’hôtel de Ville, elles conservent en effet près de 11 km linéaires de documents, dont 250 fonds d’origine privée et 150 000 documents iconographiques. Aussi, leur rayonnement s’étend bien au-delà de la sphère locale, comme en témoigne une fréquentation importante du public en salle de lecture (5 000 lecteurs par an, +13 % depuis 2000), dont les trois quarts habitent hors de Bordeaux.

Depuis 1939, les Archives municipales de Bordeaux sont installées dans un ancien hôtel particulier du XVIIe siècle, l’hôtel Ragueneau (classé monument historique) situé dans le centre historique, réhabilité et agrandi de deux dépôts aujourd’hui saturés. Elles y remplissent l’ensemble des missions d’un service d’archives public : collecte des archives publiques et privées, conservation des fonds, classement et rédaction d’instruments de recherche, communication au public et valorisation.

La collecte porte principalement sur les fonds publics, c’est-à-dire les archives produites par l’ensemble des services municipaux (de l’état civil au Grand Théâtre, en passant par les espaces verts ou les délibérations du conseil municipal) et doit accompagner, à ce titre, l’évolution vers la e-administration et la dématérialisation des dossiers et procédures, qui va conduire à mettre en place un système d’archivage électronique. Elle concerne également les fonds privés dont l’abondance et la variété constituent une véritable spécificité des archives bordelaises. Cette collecte se fait sous forme de dons, de dépôts et, dans une moindre mesure, d’achats de documents notamment en vente publique.

Préparation matérielle des fonds: remplacement des anciens cartons par des boites de conservation adaptées © cliché A.M. Bordeaux - photographe Quentin Salinier
Préparation matérielle des fonds: remplacement des anciens cartons par des boites de conservation adaptées © cliché A.M. Bordeaux - photographe Quentin Salinier

La conservation et le classement sont au cœur de la pratique des archivistes, même si ces activités sont peu visibles du grand public. La conservation est tout sauf passive : elle doit répondre à des principes de prévention qui touchent à tout ce qui constitue l’environnement des documents (climat, matériel de conditionnement, manipulations). Par ailleurs, l’usage de l’informatique est aujourd’hui la règle pour l’élaboration de tous les instruments de recherche, qui suivent désormais une normalisation internationale et permettent ainsi une interrogation au travers d’un moteur de recherche.

La communication des archives au public constitue un droit pour tous, propre d’un état démocratique. Elle s’exerce gratuitement, uniquement sur place, pour les documents originaux (la numérisation permet bien sûr un accès à distance), dans une salle de lecture où le personnel de permanence assiste les lecteurs dans leurs recherches. Aujourd’hui, cette mission ne se conçoit plus sans une offre culturelle plus large, qui concerne bien souvent un tout autre public, à tous les âges.

Face à un constat posé depuis plusieurs années d’un manque d’espace, tant de conservation des documents que de traitement et d’accueil du public, allié à une inadaptation des locaux à leur vocation et à la réglementation, le choix a été fait par la Ville de construire un nouveau bâtiment pour les Archives municipales dans la ZAC Bastide-Niel qui constitue l’un des quartiers inscrits dans le projet urbain  » Bordeaux 2030 « . Les objectifs sont de doter la Ville, et en particulier la rive droite, d’un nouvel équipement culturel grand public et de disposer d’un bâtiment à la fois conforme aux normes de conservation des documents et énergétiquement performant (bâtiment basse consommation).

Tout en s’appuyant sur cette dynamique urbaine, les Archives municipales bénéficieront d’une implantation emblématique dans la halle aux farines, l’un des plus anciens bâtiments du patrimoine industriel de la rive droite, construit comme entrepôt de marchandise sous le Second Empire lors de l’arrivée du chemin de fer, réhabilité et réinterprété de façon contemporaine par les architectes belges Robbrecht et Daem. Un parvis paysager, où seront conservés et mis en valeur des éléments patrimoniaux du site (rails anciens, glacis pavé), permettra une rencontre avec les futurs habitants du quartier et l’organisation de manifestations en extérieur.

Vue de l'hôtel Ragueneau depuis la rue du Loup. © cliché A.M. Bordeaux - photographe Bernard Rakotomanga
Vue de l'hôtel Ragueneau depuis la rue du Loup. © cliché A.M. Bordeaux - photographe Bernard Rakotomanga

En effet, le nouveau projet des Archives municipales est conçu comme un équipement culturel grand public destiné à répondre à une demande majoritairement orientée vers la pratique de loisir, au travers d’une double approche :

– en salle de lecture, dotée de 36 places permettant la consultation à un même poste de travail de documents originaux et de ressources numériques, une attention particulière sera portée à l’amélioration des modalités de la recherche (confort matériel, horaires) et aux attentes fortes du public, déjà identifiées, sur la mise en ligne des instruments de recherche et l’accès à des fonds numérisés, sur place et à distance.

– dans les autres espaces publics (une salle d’exposition, une salle de conférence et deux ateliers pour l’accueil de groupes, équipés pour le multimédia et dont l’un sera dédié aux plus jeunes enfants), sera engagé un développement et une structuration de l’offre culturelle des Archives, actuellement en préfiguration, pour répondre à une forte attente, déjà exprimée, en matière d’ateliers de découverte et thématiques, d’expositions et de conférences. Cette offre devra viser tant le public actuel que celui à venir, notamment dans le quartier de La Bastide et rive droite, en développant les partenariats avec les structures déjà implantées, afin que les Archives municipales conservent et développent leur image de lieu d’échanges, de rencontres culturelles et d’inclusion sociale.

Enfin, le rapprochement avec des associations proches, telles que la Mémoire de Bordeaux dont les bureaux et les fonds seront accueillis dans ce bâtiment, permettra d’engager un partenariat fructueux avec le tissu associatif, en complémentarité, tant en matière de collecte de fonds (témoignages oraux par exemple) que de programmation culturelle.

Le projet scientifique, culturel et éducatif des Archives, dont l’élaboration est lancée, s’appuiera sur les axes forts des fonds conservés, tels que l’histoire de l’évolution architecturale et urbaine de Bordeaux et de son agglomération depuis le XVIIIe siècle, les relations transatlantiques (commerce colonial, commerce du vin, réseaux protestants, traite négrière), l’histoire politique contemporaine (notamment autour des archives Chaban et du fonds SIGMA), les flux migratoires, etc.

Afin de conforter ce projet culturel, plusieurs chantiers ont été engagés dès à présent. Le premier porte sur le traitement matériel des fonds, en préalable à leur déménagement : dépoussiérage, reconditionnement dans des matériaux neutres et stables dans le temps, restauration des documents les plus endommagés, notamment le fonds de la Jurade, brûlé lors de l’incendie de 1862, ont été engagés depuis 2009. Le second chantier concerne le traitement intellectuel des documents : il porte prioritairement sur la rétroconversion des instruments de recherche, c’est-à-dire leur dématérialisation et leur intégration progressive dans un moteur de recherche qui constituera une salle de lecture virtuelle, au cœur du futur site internet des Archives, dont la mise en ligne est prévue dès la fin 2012. L’informatisation du catalogue de la bibliothèque administrative et d’histoire locale a déjà été engagée, et les premières notices sont consultables sur le catalogue des bibliothèques de Bordeaux (www.bordeaux.fr). Enfin, un programme de numérisation, portant à la fois sur des thématiques (traite négrière, guerre 1914-1918) et sur des fonds (état civil) va être entrepris. Le troisième chantier concerne les activités culturelles et la médiation auprès des publics, notamment scolaires. Conçu comme une préfiguration de l’offre du nouvel établissement, ce chantier a déjà permis d’asseoir une offre régulière auprès du public scolaire qui bénéficie depuis plusieurs années de parcours pédagogiques innovants, intitulés monumérique-archimérique, dont les premières réalisations sont consultables en ligne (www.archives.monumerique.bordeaux.fr). Par ailleurs, des rendez-vous sont régulièrement proposés au grand public, lors des journées du patrimoine, dans le cadre de visites estivales ou encore lors de manifestations thématiques associant conférence et lecture d’archives.

La construction de ce nouveau bâtiment dépasse donc la simple relocalisation matérielle des Archives pour constituer une véritable refondation de l’établissement, au cœur de laquelle figure le projet culturel. C’est là tout l’enjeu d’un changement de rive.

Agnès Vatican

Archiviste-paléographe

Directrice des Archives municipales de Bordeaux