Mars/Avril 2019
De tout temps les animaux ont accompagné les hommes à la guerre. Celle de 1914-1918 en est peut-être la plus terrible illustration.
Les auxiliaires militaires
Pas moins de 700 000 chevaux furent réquisitionnés par l’armée française d’août à décembre 1914, soit 20 % du parc français, aussi bien chevaux de trait que chevaux de selle. Il fallait aussi pouvoir assurer la remonte. Au total, toutes armées confondues, sur 14 millions d’animaux mobilisés, il y eut plus de 10 millions d’équidés dont 300 000 ânes et mulets, moins souvent en première ligne. Presque 5 millions de chevaux moururent, en moyenne 300 par jour, pas seulement par fait de guerre mais aussi d’épuisement : il fallait six chevaux pour tracter une pièce de 75 (1,5 t) et dix pour un canon de 155. A partir de 1916, malgré l’augmentation des véhicules à moteur, 30 % des chevaux venaient des États-Unis ou d’Argentine.
Les ânes servaient essentiellement à porter le ravitaillement, à transporter les blessés ou les pièces de rechange pour l’armement.
Mobilisés dès le début du conflit, les chiens : ils furent chiens de trait pour mitrailleuses, surtout chez les Belges – mais leurs aboiements intempestifs les faisaient repérer par les Allemands –, chiens de traîneau importés d’Alaska en 1915 pour assurer le ravitaillement lorsque la neige empêchait le déplacement des véhicules à roues. L’aide de ces « poilus d’Alaska » fut précieuse en 1917–18 pour reprendre les sommets vosgiens. Chiens secouristes pour retrouver les blessés sur les champs de bataille, dressés à distinguer les blessés amis des ennemis qu’on laissait de côté. Attelés à une voiturette, comme les ânes et les mulets, ils participaient à l’évacuation des blessés. Bon nombre laissèrent leur vie sur les champs de bataille malgré leur dossard à croix rouge.
Ils furent aussi chiens sentinelles guettant le moindre bruit suspect au bord des tranchées, détecteurs de gaz avant que ceux-ci n’atteignent les poilus permettant ainsi d’enfiler les masques[1], chiens estafettes, chez les Allemands d’abord, dès 1914, puis chez les Franco-Anglais à partir de l’été 1915.
Evidemment, la durée de vie de ces chiens–soldats n’était pas très longue. Il fallut faire appel aux chiens domestiques de l’arrière et à la compréhension des maîtres pour qu’ils acceptent de les laisser partir au front. Au début de 1914, l’Armée française disposait d’un peu plus de 200 chiens – ils sont 600 au début de 1915 – et au total environ 10 000 furent convertis en combattants. Certains seront cités à l’ordre de l’armée, voire décorés comme le « sergent » Stubby que son maître américain avait emmené clandestinement avec lui. Promu sergent, il a été le premier chien gradé de l’armée américaine et le supérieur hiérachique de son maître, le caporal Robert Coroy[2].
Les pigeons voyageurs sont là aussi. Des pigeonniers mobiles montés sur camions ou sur des bus à impériale Berliet vont parcourir le front. Avec une vitesse de vol d’environ 60 km/h, ils sont particulièrement utiles. Dès 1915, équipés d’un appareil photo à déclenchement automatique, ils firent de parfaits espions.
Deux sont restés célèbres : Vaillant et Cher Ami. Vaillant, le dernier pigeon du fort de Vaux, est lâché le 4 juin 1916. Bien que gazé, il réussit à regagner le colombier militaire de Verdun et à délivrer son message. En reconnaissance, Vaillant sera cité à l’ordre de l’armée et se vit décerner une bague d’honneur. Il est naturalisé et conservé au musée de la Colombophilie du Mont Valérien.
Cher Ami était un pigeon américain. En juillet 1918, dans la forêt de l’Argonne, envoyé par un bataillon perdu, pourchassé par le feu ennemi, il réussit à joindre le quartier général malgré la perte d’une patte. Grâce à lui, le bataillon put être dégagé. Guéri, le général Pershing en personne lui décerne la croix de guerre (française) 1914-1918 avec palme et la feuille de chêne (américaine) et, pour services rendus à la Nation, le fait rapatrier aux États-Unis.
Sur les 60 000 pigeons mobilisés dans la seule armée française, environ 20 000 y laissèrent la vie.
Dans ces auxiliaires militaires figuraient aussi les bœufs, moutons, porcs… qui assuraient le ravitaillement régulier des troupes. Créé le 2 août 1914, le service automobile des armées comprenait une section consacrée au ravitaillement en viande fraîche (RVF)[3]. Convoyés par train ou par camion, ensuite à pieds ou sur pattes, ils étaient abattus, découpés puis livrés par autobus aux cantines des régiments[4]. À l’occasion, certains pouvaient être attelés.
La chasse ou la pêche n’était pas négligeable.
Les prédateurs
Toute concentration humaine ajoutée à de grands bouleversements de l’environnement amène inévitablement son lot de profiteurs.
En premier lieu, les rats. À cause des provisions personnelles ou règlementaires stockées, ils avaient vite compris qu’il y avait là une source de ravitaillement inépuisable. Contre eux, la lutte devint vite inégale. Les chats s’avérant inefficaces, on fit venir des chiens ratiers, on posa des appâts empoisonnés, on les tira au fusil, on les mit même à la marmite. Rien n’y fit. En 1916, le commandement proposa une prime de 5 centimes par rat tué. Pour dormir et éviter d’avoir le nez, une oreille ou les orteils rongés, certains soldats confectionnaient une sorte de cage grillagée sur leur couchette et sous laquelle ils se glissaient.
Autres prédateurs : les puces, poux, cafards… qui pullulaient partout, y compris dans les hôpitaux où ils étaient apportés par les blessés. Là aussi, la lutte était inégale. Il faut dire que l’hygiène laissait souvent à désirer car si les poilus ne manquèrent jamais de vin, l’eau faisait souvent défaut. Tout fut essayé : les séances d’épouillage, le brûlage des coutures des vêtements et même des frictions à l’eau de vie qui avaient au moins le mérite d’endiguer les infections.
À cela s’ajoutaient les mouches attirées par les cadavres en décomposition jusque dans les tranchées.
Comme dans toutes les guerres, on ne pouvait pas toujours enterrer les morts. Et comme dans toutes les guerres, ce sont les charognards qui s’en chargeaient. En plus des rats, des nuées de corbeaux s’abattaient dès que les canons se taisaient, accompagnés par les pies, les faucons ou les buses, chouettes et hiboux la nuit, mais aussi les renards, les blaireaux et autres carnassiers[5].
Les compagnons
Le nombre d’animaux de compagnie était surprenant. Les chiens d’abord, du plus petit au plus grand, soit qu’ils aient, plus ou moins clandestinement, accompagné leur maître, soit qu’un soldat, au hasard d’un village abandonné, ait trouvé un chien ou un chat.
L’Armée allemande surtout achetait chats et lapins aux civils des villages occupés : leur chair améliorait l’ordinaire et leur peaux constituait une aide efficace contre le froid. Un chat était payé 3 ou 4 marks en 1918.
Des oiseaux dans leur cage, précieux pour alerter en cas de gaz, furent aussi recueillis, ainsi qu’à l’occasion un jeune marcassin ou un petit chevreuil.
Et puis les mascottes, ces animaux porte-bonheur, comme les béliers des spahis, un sanglier adopté par une section d’artilleurs français dans le forêt de Hesse en 1915 ou un petit singe du Congo qui suivait un escadron de lanciers belges. Le plus extraordinaire fut sans doute ce kangourou amené par un bataillon d’infanterie australien. C’est ce bataillon qui libéra Péronne le 1er septembre 1918. En reconnaissance, la mairie apposa une plaque commémorative sur son mur : « Roo de Kanga (rue du Kangourou), 1918-1998. We do not forget Australia ».
In memoriam…
Chantal Gauthier
Société d’écologie humaine et d’anthropologie
[1] Chiens et chevaux portaient aussi des masques.
[2] Le « sergent » Stubby est mort en 1927. Naturalisé, il est exposé au Smihsonian Museum de Washington.
[3] C’est Benjamin Rabier qui s’inspirant de l’emblème des transports de troupes allemands : les Walkyries, dessina l’emblème de la RVF, une vache – la Wachkyrie – qui rit pour se moquer des Allemands. En 1921, elle se transforme en emblème du fromage « La Vache qui rit ».
[4] Mes grands-pères, les docteurs Léon Guilmain & Rouffignac, disaient que si la nourriture n’était pas gastronomique, elle ne manquait jamais. Contrairement aux Allemands dont l’arrière–pays épuisé par deux fronts ne pouvait plus fournir, la nourriture fut toujours régulière dans les troupes françaises. Les rations comprenaient viande, légumes, pain, fromage sans compter le café, le vin, l’eau de vie. Seuls manquaient fruits et poissons pour des raisons d’acheminement et de conservation.
[5] C’était l’un des plus mauvais souvenirs de mes grands-pères.
Bibliographie :
Baratay (Éric), Bêtes de tranchées, des vécus oubliés, Éd. du CNRS, 2013.
Barbusse (Henri), Le feu, journal d’une escouade, Gallimard, 1916.
Céline (Louis-Ferdinand), Voyage au bout de la nuit, Gallimard, 1932.
Delort (Robert), Les animaux ont une histoire, Seuil, 1984.
Remarque (Erich Maria), À l’ouest rien de nouveau, Stock, 1929.
Thomas (Christophe), Les Animaux, héros de la Grande Guerre, OREP Éditions, 2018.
Les photos proviennent des albums du dr Rouffignac.