Le millefeuille administratif en Gironde

mai/juin 2016

En France trois grandes collectivités territoriales peuvent être distinguées : les communes et les EPCI, les départements et enfin les Régions. Notre propos explique pourquoi l’état tente régulièrement de réduire le nombre des communes, cherche à simplifier l’empilement administratif et souhaite éviter les chevauchements de compétence.

Le cas de la Gironde est intéressant parce qu’une Métropole, Bordeaux, rayonne sur une grande partie des communes et département. La Gironde d’une superficie de 10 725 km2 compte 542 communes. Á noter la superficie importante des communes du massif landais et la petite taille de celles de la partie orientale du département(1) .

1 – L’intercommunalité, solution à l’éparpillement communal

Les 36 782 municipalités françaises représentent à elles seules 40 % des communes de l’Union européenne. Les partisans du maintien de l’autonomie des communes insistent sur une proximité réelle de l’action publique. Mais cette densité communale et cette fragmentation ont pour contrepartie de limiter les capacités d’intervention individuelles des communes, sachant que 10 000 d’entre elles ont moins de 200 habitants et 32 000 moins de 2 000.

Dès la fin du 19e siècle, l’état a tenté de remédier à cette fragmentation en donnant naissance à des syndicats intercommunaux. Les syndicats à vocation unique (SIVU) créés par la loi du 22 mars 1890, forment une association de communes, même non limitrophes, se regroupant afin de gérer une seule activité d’intérêt intercommunal. 216 Syndicats intercommunaux à vocation unique opèrent en Gironde. Les Syndicats mixtes ont été créés par le décret-loi du 30 octobre 1935, afin de permettre à des collectivités de s’associer entre elles ou avec des établissements publics. Les Syndicats à vocation multiple (SIVoM)(2) créés par l’ordonnance du 5 janvier 1959, permettent aux communes de s’associer pour gérer, à la différence des SIVU, plusieurs activités.

Avec le développement de l’urbanisation après-guerre, des formules plus intégrées apparaissent à partir des années 1950. Ce qui amène à parler d’EPCI soit établissement public de coopération intercommunale disposant, contrairement aux syndicats de communes évoqués précédemment, d’une fiscalité propre. Les districts urbains, institués par l’ordonnance du 5 janvier 1959, constituent une forme de coopération plus intégrée dès lors qu’on les a dotés de compétences obligatoires. Exemple en Gironde : le District urbain de la Pointe du Médoc(3).

Les communautés urbaines créées par la loi du 31 décembre 1966, regroupent quant à elles plusieurs communes formant un ensemble de plus de 500 000 habitants sur un espace d’un seul tenant et sans enclave. La loi du 12 juillet 1999 a renforcé leurs compétences. En Gironde, Bordeaux est une communauté urbaine devenue Bordeaux Métropole au début de l’année 2015.

Les communautés d’agglomération (CA), créées par la loi du 12 juillet 1999, remplacent les communautés de ville. Elles associent plusieurs communes urbaines sur un espace sans enclave et d’un seul tenant, regroupant plus de 50 000 habitants autour d’une ou plusieurs communes de plus de 15 000 habitants. Elles exercent également au moins trois compétences En Gironde il existe deux CA : Arcachon et Libourne.

Les communautés de communes créées par la loi du 6 février 1992, visent à organiser les solidarités nécessaires en vue de l’aménagement et du développement de l’espace et permettent d’élaborer un projet commun. Elles étaient destinées, à l’origine, uniquement au milieu rural, mais séduisent aussi le milieu urbain. Elles regroupent plusieurs communes qui, depuis la loi de 1999, doivent être « d’un seul tenant et sans enclave ». Elles exercent obligatoirement, à la place des communes membres, des compétences en matière d’aménagement de l’espace et d’actions de développement économique.

Fig 1 Étapes de lacréation des EPCI en Gironde

2 – Résistance des communes et mise en place des EPCI

En 2008, la Gironde comptait une communauté urbaine (CU) : Bordeaux, de près de 700 000 habitants, une communauté d’agglomération (CA) : Arcachon, de 60 000 résidents et 45 communautés de communes (CC) qui totalisaient autant d’habitants ce qui révèle un émiettement poussé des territoires de l’intercommunalité en milieu périurbain et rural.

La très grande similitude entre la carte des cantons et celle des CC permet d’avancer l’hypothèse qu’elle est le résultat d’une concertation au sein de l’Assemblée départementale et un moyen pour les conseillers généraux de continuer de « contrôler » les territoires qui les élisent. Ce choix a l’inconvénient de conserver des territoires de petite taille et de constituer des entités démographiques disparates sans poids réel face à la domination de l’agglomération bordelaise.

Parmi les communes qui ont fait de la résistance, on trouve Saint-Jean-d’Illac et Martignas qui n’appartenaient à aucune EPCI en 2008. On observe d’autres cas de résistance dans le Médoc, le secteur de Blaye et l’est de la Gironde, la petite ville de Saint-Seurin-sur-l’Isle étant l’exemple le plus emblématique.

Entre 2010 et 2013 les EPCI ont dû procéder à des premiers regroupements. Deux années de négociation ont abouti à un remodelage de la carte des EPCI en Gironde, mais ce changement se fait à minima en respectant seulement l’obligation de ne plus compter d’EPCI de 5 000 habitants et moins. La modification la plus importante est la transformation de la CC du Libournais en communauté d’agglomération au terme d’un processus entamé avant même le vote de la loi de 2010.

Fig 2 Totaldes produits de fonctionnement des EPCI

3 – Les inégalités entre EPCI à la lumière des ressources fiscales

La Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) mobilise près d’un milliard d’euros quand la collectivité suivante, la CA du Bassin d’Arcachon sud, n’atteint pas les 50 millions d’euros. Plus déterminant encore, le total des produits de fonctionnement de la CUB en 2012 représente près de 80 % du total des produits de fonctionnement de l’ensemble des EPCI alors que la CUB ne regroupe que 50 % de la population du département de la Gironde.

La CUB mobilise près de 90 % des ressources fiscales de la Gironde en ce qui concerne les produits d’investissement. Viennent ensuite, loin derrière, l’agglomération d’Arcachon, la CC de Langon, la Communauté d’agglomération de Libourne, les CC de Sainte-Foy-la-Grande, Montesquieu et Saint-André-de-Cubzac.

Le fonctionnement fédératif des EPCI peut être apprécié en rapportant le total des produits de ces intercommunalités à celui de l’ensemble des communes qui la compose. Dans un seul cas, la CC de Villandraut, les produits de fonctionnement de l’EPCI sont supérieurs à la somme des budgets de fonctionnement des communes qui se sont fédérées. Dans deux cas, la part des produits de fonctionnement de l’EPCI est comprise entre 80 et 100 % : la CC de l’Estuaire-Canton de Saint-Ciers-sur-Gironde et la CUB. Pour assurer les dépenses de fonctionnement, la CUB plus l’ensemble des communes qui la compose, dispose de près de deux milliards d’euros.

Fig 3 Types et taille des EPCI 2014

4 – état des lieux en 2015

Le Parlement vient de voter la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) qui fixe de nouvelles règles. Aux communes la compétence de proximité et, seule collectivité dans ce cas, des compétences générales.

Les communes sont obligées d’appartenir à un EPCI et elles peuvent lui déléguer toutes ou parties des compétences. Les communes perdent obligatoirement la compétence Eau et Déchets.

Les EPCI ont des compétences renforcées dans un périmètre qui doit réunir au moins 15 000 habitants.Les EPCI de moins de 15 000 habitants, se situent dans l’Entre-deux-Mers, dans le Médoc et sur la rive droite de l’Estuaire. Les discussions sont en cours et la nouvelle configuration des EPCI en Gironde devrait être arrêtée au printemps 2016.

Bordeaux est devenue une Métropole. Le Département de la Gironde conserve la plupart de ses compétences sauf l’économie et celle des transports scolaires et des ports.

La Région obtient de nouvelles compétences et renforce celles qu’elle avait déjà. Elle intervient dans l’aménagement du territoire, les transports (scolaires à partir de 2017), l’emploi, le sport, l’eau et les déchets.

Comme le montre cet exposé, l’organisation administrative du territoire en France reste marquée par les héritages et par une superposition des compétences qui freinent l’action publique et pousse probablement à accroître les dépenses publiques. Les réformes se succèdent apportant quelques améliorations, mais sans trop bouleverser un paysage administratif qui convient au plus grand nombre, notamment aux élus de terrain qui défendent leurs prérogatives. Toutefois, lentement, des regroupements et des transferts de compétences s’opèrent.

Jean-Paul CHARRIE
THOTH, Civilisations sans frontières

(1) Cette analyse repose sur des recherches personnelles. Les cartes ont été réalisées par nos soins. Sources analdynamiqterritoir.monsite-orange.fr
(2) N’étant pas un sigle mais un acronyme, devrait s’écrire SiVoM (NdLR).
(3) Les Districts sont supprimés en 2002