Le mascaret de la Garonne décrypté

septembre/octobre 2011
Le mascaret de la Garonne
Le mascaret de la Garonne

En 2009, un groupe de chercheurs du laboratoire ePOC (environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux) de l’université de bordeaux 1, en collaboration avec le CeMAGref, a mis en place un programme d’étude des mascarets d’Aquitaine avec le soutien financier de la région d’Aquitaine et de l’université de bordeaux 1. Deux campagnes de mesures ont été mises en place afin de mieux comprendre la dynamique des mascarets se formant dans le système Gironde/Garonne/Dordogne et leur impact sur le transport des sédiments.

Les mesures ont été réalisées sur la Garonne, sur le site de Podensac, situé à 140 km en amont de l’embouchure. La première campagne a eu lieu du 24 février au 15 avril 2010 avec un débit élevé (700 m3/s) et la seconde a eu lieu du 1er septembre au 22 octobre 2010 avec un débit faible (125 m3/s). Ces mesures ont constitué la première campagne d’étude des mascarets au niveau international, puisqu’aucun mascaret n’avait jusqu’alors été expérimenté de manière intensive.

Pour les spécialistes, le mascaret, appelé «tidal bore» en anglais, est une onde positive de translation qui se forme dans certains estuaires lorsque les conditions de marées et de débits sont favorables. Deux types de mascarets sont observables selon la forme de l’estuaire et les conditions hydrodynamiques : le mascaret déferlant et le mascaret ondulé. C’est ce dernier type qui est observé en Aquitaine. Cette onde se caractérise par une série de vagues se propageant vers l’amont au niveau de la renverse de marée, juste après la basse mer ; le front d’un mascaret ondulé est suivi d’ondes secondaires puis d’une zone chaotique de vagues appelées « éteules ».

Le mascaret, phénomène fortement médiatisé en particulier en Aquitaine et très pratiqué par les surfeurs, depuis près de 40 ans, est peu étudié par le milieu scientifique. Ceci s’explique par la complexité du phénomène qui réunit plusieurs thématiques scientifiques difficiles comme la propagation de la marée en milieu peu profond, la genèse et la propagation d’un ressaut hydraulique, l’hydrologie des fleuves et la morphologie des fonds, tout cela en milieu hostile.

La morphologie de l’estuaire contrôle la propagation de l’onde de marée. Plus l’estuaire est étroit et peu profond, plus l’onde de marée est freinée par dissipation d’énergie sur le fond. De plus, l’estuaire de la Gironde est de type « hypersynchrone », c’est-à-dire que ses rives convergent en allant vers l’amont, avec une forme caractéristique en entonnoir. Ceci provoque une augmentation de l’amplitude du marnage et des courants de marée de l’aval vers l’amont. L’effet de convergence des rives fait gonfler l’onde de marée et devient prédominant sur les effets de frottements. Ce phénomène est particulièrement marqué en période d’étiage et de mortes-eaux. De plus, l’onde de marée devient dissymétrique en se propageant vers l’amont, la durée du flot devient plus courte que la durée du jusant(1). L’onde de pleine mer se propage plus vite que l’onde de basse mer qui la précède, comme si elle voulait la rattraper. Plus le coefficient de marée est élevé plus le phénomène s’intensifie. Ceci se traduit par une brusque élévation du niveau d’eau en début de flot, allant jusqu’à la formation d’un mascaret pour les plus forts coefficients de marée.

Les connaissances :

A travers le monde, il existe seulement 80 sites à mascarets. Parmi les plus connus et les plus impressionnants, on trouve le Pororoca sur l’Amazone au brésil, le Dragon Noir sur le fleuve qiantang en Chine. L’europe est riche en sites à mascarets, elle en possède une quinzaine en Angleterre, Aquitaine et en Normandie. Le terme mascaret est un mot gascon signifiant « boeuf tacheté », évoquant la métaphore d’un animal bondissant. bien qu’ayant un nom gascon, les mascarets d’Aquitaine ont été très peu étudiés. La référence historique la plus ancienne remonte au iVe siècle, avec un texte de sidoine Apollinaire (430-486), évêque de Clermont-ferrand, qui décrit le phénomène de la marée et du mascaret au niveau du bec d’Ambès. L’Agenais Palissy (1510-1590) propose une théorie sur la formation du mascaret, qui nous apparaît maintenant fantaisiste, en attribuant la formation du mascaret à des masses d’air emprisonnées dans le sol et qui ressortent en faisant gonfler le niveau de l’eau. Ces deux références historiques ne parlent que de la Dordogne, certainement parce que le mascaret ne remontait pas en amont de bordeaux.

La première explication moderne est réalisée par brémontier (1738- 1809) ingénieur des Ponts et Chaussées, qui entre 1770 et 1780, a réalisé en Aquitaine de nombreuses études concernant les ports et l’aménagement des dunes. il explique que le mascaret est produit par le déferlement de la marée. il y aura par la suite une littérature abondante, en particulier sur le mascaret de la seine qui a donné lieu à de nombreuses publications jusqu’à sa disparition en 1963. Avant les travaux d’endiguement, qui l’on fait disparaitre, le mascaret atteignait une hauteur de 2,50 m. en 1951, Destriau a établi une carte détaillée des zones à mascarets sur la Dordogne à partir d’observations et de mesures photographiques. il a aussi tenté d’expliquer le phénomène d’amplification du mascaret 1 à 2 jours après les grandes marées. Plus récemment, en 1990, quelques mesures ont été effectuées par le laboratoire ePOC, sur la Dordogne.

Le site d’étude :

Le choix s’est porté sur Podensac, à 140 km en amont de l’embouchure de l’estuaire. Ce site réunit plusieurs conditions favorables à une campagne de mesures. en effet, on sait que les gros mascarets de septembre se développent bien à cet endroit. De plus le site présente une section rectiligne qui évite les perturbations dues aux méandres et l’endroit est peu fréquenté par les surfeurs en comparaison avec d’autres sites comme saint-Pardon sur la Dordogne.

La campagne Mascaret 2010 :

Au préalable, une grande campagne d’observations a eu lieu le 20 septembre 2009, afin de caractériser un mascaret de forte amplitude (le coefficient de marée était de 110). Cinquante personnes ont été déployées et un bateau a suivi le mascaret sur l’ensemble de son parcours. Ceci a permis de préparer les 2 campagnes de mesures. une première campagne de mesures a été mise en place en février et mars 2010, afin de tester le comportement des instruments de mesures et les structures de mouillage. Les structures accueillant les capteurs ont été conçues pour pouvoir résister à un milieu hostile car à cette période de l’année, les forts débits de la Garonne peuvent charrier de gros objets, comme des troncs d’arbres. en raison des forts débits, il était évident qu’il n’y aurait pas de gros mascarets durant cette étude. Cependant, à la surprise générale, les capteurs de pression ont révélé des ressauts de marées de faibles amplitudes (50 cm), sans vagues avec une grande ondulation du plan d’eau. On ne peut pas à proprement parler de mascaret, on n’observe pas de vagues bien formées.

Instrumentation et résultats :

Durant la campagne de septembre 2010, 17 instruments (capteurs de pression, mesures de turbidité, profils de vitesse) ont été mouillés sur le site de Podensac, sur 3 sections espacées d’environ 200 mètres. Ces instruments sont des instruments classiques utilisés dans les mesures hydrodamiques que l’équipe de recherche Methys développe sur d’autres sites d’étude (Gironde, plages, bassin d’Arcachon…) :

• L’ADCP (Acoustic Doppler Current Profiler) est un courantomètre acoustique à effet Doppler faisant partie de la famille des sonars. il permet d’établir un profil complet de la vitesse sur toute la colonne d’eau, et donc de calculer des débits et le transport de matière si on connait le contenu en sédiments de l’eau (voir graphique en bas d’article).

• L’ADV (Acoustic Doppler Velocimeter) fonctionne sur le même principe que l’ADCP mais il peut mesurer à haute fréquence, permettant d’étudier des phénomènes fins comme la turbulence(3).

• L’Obs (Optical Backscattering Sensor) et la sonde CtD permettent de mesurer la turbidité(4) de l’eau par une méthode optique qui consiste à envoyer un signal lumineux infrarouge et dont on mesure le taux de diffusion sur les particules en suspension. Ces instruments comportent également des capteurs de pression, température et de salinité.

• L’ALtus est un altimètre à ultrasons fonctionnant selon le principe d’un échosondeur. il permet de suivre l’évolution du fond et de déterminer des séquences d’érosion ou de dépôt. Malheureusement, ces instruments ont été endommagés durant la mission de septembre.

Effet du mascaret sur la remise en suspension des sédiments :

Les résultats montrent l’effet du mascaret car on voit nettement une variation brutale de 0 à 20 g/l au passage du mascaret. une heure plus tard, la concentration augmente pendant la marée montante pour atteindre plus de 100g/l et diminue ensuite au fil de la marée descendante. Cette phase d’augmentation coïncide avec le passage du fameux bouchon vaseux.

Jean-Paul Parisot, Philippe Bonneton, Natalie Bonneton,

Aldo Sottolichio et Guillaume Detandt, Equipe METHYS,

CNRS, UMR EPOC, Université de Bordeaux 1, Talence. 33405, France

(1) Le jusant est un terme qui qualifie le courant de marée portant dans le sens de la marée descendante (inversement le flot est dirigé dans le sens de la marée montante). Montant et descendant qualifient la variation de hauteur d’eau, alors que jusant et flot caractérisent le sens du courant. Il y a généralement coïncidence, (flot = montant et jusant = descendant) mais dans les estuaires, il y a un décalage qui peut atteindre 30 min, à Bordeaux, laps de temps pendant lequel le niveau d’eau monte, alors que le courant est descendant (ou inversement).
(2) Le marnage désigne la différence mesurée entre les niveaux d’une pleine mer et d’une basse mer consécutives.
(3) La turbulence désigne la formation de tourbillons dans l’eau,créant une agitation désordonnée. Une eau turbulente a donc une tendance beaucoup plus grande à mettre les sédiments en mouvement qu’une eau s’écoulant en flux laminaire.
(4) La turbidité caractérise la transparence de l’eau, limitée par la présence de matières solides en suspension. L’unité conventionnelle, le FTU (Formazine Turbidity Unit), se réfère à la transparence d’un liquide de référence, la formazine. En calibrant les turbidimètres, on peut en déduire la quantité de particules responsables de ce trouble.