La fin de l’Ordre du Temple en 1312

novembre/décembre 2012

C’est une date importante de notre histoire, 1312, et il importe d’en marquer l’anniversaire des 700 ans. À la suite du concile de Vienne qui dura 7 mois, la bulle pontificale du 6 Mai 1312 suspendit l’ordre du temple et persécuta les religieux pour les forcer à abjurer.

La ville de Vienne organisa cette année des manifestations culturelles, conférences, exposition, colloque, et un excellent ouvrage de Sébastien Gosselin, archiviste-paléographe, a été publié à ce sujet à Lyon en préparation de cet anniversaire en 2011.

Bordeaux est concerné puisque le principal et officiel personnage était le pape Clément V, un enfant du Bazadais qui fut archevêque de Bordeaux sous le nom de Bertrand de Goth, avant d’accéder, en 1305, à l’autorité suprême ecclésiastique : la papauté. La Bulle «Vox in excelso » permît l’exécution des décisions prises.

On peut réellement parler d’acharnement contre cet ordre religieux qui avait 183 ans d’existence ; qui avait été autorisé par le pape Calixte II pour maintenir les Lieux Saints dans la chrétienté ; dont la Règle avait été fixée par saint Bernard de Clairvaux ; et d’une volonté d’anéantir les chevaliers templiers par la volonté du roi de France. un pape peut-il défaire ce qu’un de ses prédécesseurs a institué ?

La force de pression exercée sur ce pape, ne pouvant pas résider à Rome mais sur les terres pontificales d’avignon, près du royaume de France, était considérable. Philippe le Bel avait un redoutable légiste comme conseiller, qu’il avait nommé garde des sceaux : guillaume de nogaret, qui sut trouver les arguments juridiques pour réaliser l’opération. si l’ordre fut suspendu dans toute la chrétienté, les templiers ne furent persécutés que dans les territoires sous l’obédience du roi de France. En angleterre le roi édouard Ier leur redonna leurs commanderies. Les évêques de Mayence et de trèves les acquittèrent. Au portugal, ils furent transformés en un autre ordre : la Milice du Christ. En Castille ils devinrent l’ordre de Montesa, et en prusse ils allèrent grossir les rangs de l’Ordre Teutonique.

Ainsi c’est bien marquer l’influence déterminante du roi de France, que l’on sait bien à court d’argent, ayant déjà réalisé une fructueuse opération sur les Juifs, contraints à s’exiler.

La persécution avait commencé cinq ans auparavant, lorsque le roi fait arrêter et mettre en prison les templiers, qu’on évalue à environ 2000 dans le royaume. nous avons en périgord un témoignage de cette cruauté avec les graffitis de la porte des tours à Domme. en plus de signes templiers il y a, gravé, un autel dédié au Christ, à la Vierge, à Saint-Jean, un dragon dont la queue supporte une effigie du pape coiffé de la tiare et un nom : (le chevalier) de la Queuille ainsi que la mention vengeresse à côté de Clément V : « destructor templi ». On connaît d’autres prisons où ils croupirent : Dourdan, Provins. Cette date fatidique fut le 13 octobre 1307.

La maison-mère en occident était le temple de Paris, à peu de distance du Louvre royal ; c’est là, dit-on, que se trouvait le trésor du temple, un peu comme un coffre-fort bien gardé. et le grand- Maître était un chevalier de Franche-Comté, Jacques de Molay. Les possessions terriennes étaient très nombreuses dans le royaume car ils avaient été des agents de fixation d’une population agricole ; pour le département de la Gironde, au moins dix commanderies avec chapelle dans le diocèse de Bordeaux, et au moins sept dans le diocèse de Bazas. en plus, les maisons urbaines comme à Bordeaux qui a donné son nom à la rue du temple, à Bazas, à Langon, à Sainte-Foy-la-Grande.

Fortune terrienne ? Peut-être, mais les commanderies étaient installées dans des carrefours de routes, près des gués de rivière, sur de grands chemins, et ils faisaient l’accueil, parfois même ils jouaient un rôle paroissial. d’autre part ils avaient des élevages de chevaux, plus massifs que ceux d’Orient, qui pouvaient mieux supporter des chevaliers armés et en cotte de maille. Le rôle des chevaux était capital, si bien qu’ils utilisaient un insigne, parfois un sceau : 2 cavaliers sur un même cheval(1). Les troupes musulmanes utilisaient des chevaux pur-sang ou demi-sang, qui avaient l’avantage de la rapidité, de la souplesse.

170-158-thickbox
170-158-thickbox

Fortune monétaire ? Certainement car ils s’occupaient des transferts de fonds de part et d’autres de la Méditerranée, ils avaient inventé la lettre de change pour éviter le port du monétaire, un parchemin faisait foi quand il avait le sceau de l’Ordre. On peut penser que le numéraire était gardé au Temple de Paris. Et le Temple prêtait des fonds, notamment aux rois de France ; c’est un bon moyen de se débarrasser de sa dette que de se débarrasser du créancier(2)… et avec l’argent ils rachetaient des esclaves.

Il est vrai que l’Ordre du Temple avait perdu la face en perdant ses forteresses de la Terre Sainte : Jérusalem était tombé en 1241, Damas en 1245, Tyr en 1285, Tripoli en 1289, puis Saint-Jean-d’Acre, et les chevaliers s’étaient repliés sur Chypre, où ils gênaient l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem(3).

Depuis 1307, où les Templiers furent emprisonnés et leurs biens saisis et mis sous séquestre, la procédure fut particulièrement longue, les juristes mettant au point les griefs. En 1308, Clément V fulmina à Poitiers une bulle où il demandait une commission pontificale pour faire une enquête qui s’ouvrirait sur un concile oecuménique à Vienne, où l’archevêque Bertrand de Lavieu avait été sacré à Bordeaux en 1306 par le pape. Vienne proposait comme lieux la cathédrale Saint-Maurice, l’abbaye Saint-André le Bas, la Chartreuse de Saint-Romain en Gal, et une ville qui était un centre urbain.

Le concile de Vienne
Le concile de Vienne

Les commissions se sont mises d’accord en 1310 pour l’ouverture du concile oecuménique le 1er octobre 1311. Ce qui se fit. Le pape y assista. Le nombre des pères conciliaires n’est pas assuré, environ 20 cardinaux car il y en avait une pénurie à l’époque, 29 archevêques, 70 évêques, 38 abbés, soit au moins 161 ecclésiastiques, dont presque la moitié venant du royaume de France. on délibéra tout l’hiver. Le roi philippe le Bel vint le 20 mars 1312. On lui installa un trône dans le choeur.

Et les griefs plurent sur les malheureux chevaliers comme la grêle, irréligion, blasphèmes, idolâtrie, concussion, mauvaises moeurs, hérésie ; et il leur fut interdit d’avoir un avocat comme ils le demandaient. Leurs dénégations ne furent pas reçues, la torture permit des aveux. Deux solutions : si l’on avoue on est coupable, si on ne veut pas adjurer on mérite la mort, comme lorsque l’on se rétracte et l’on est relaps. Les chroniqueurs donnent des cas fréquents de chevaliers morts sous la torture.

La suite est bien connue : la bulle Vox in excelso, le bûcher pour Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay dans l’île aux Juifs, près du palais du Louvre, qui avaient plus ou moins avoué. Le grand- Maître était le vingt-troisième titulaire de la charge, dont six moururent à la bataille.

Ils furent de remarquables constructeurs : soit les forteresses de l’Orient, le Krak des Chevaliers, château Pèlerin, Tortose, Acre ; en Aragon les forts de Péniscola, Monzon et partout des commanderies bien appareillées, des chapelles à chevet plat traitées 1/3 pour le chœur, 2/3 pour la nef, comme on peut voir à Benon (Saint-Laurent-et-Benon), Magrigne, Montarouch, Roquebrune, Sallebruneau, Marcenais, etc.

Jacques Gardelles était très admiratif sur la qualité des constructions, tant militaires que religieuses ou civiles : pierres bien taillées, bien assisses, charpentes simples et puissantes, et surtout selon la règle, mise en évidence des signes recognitifs templiers. Les biens immobiliers passèrent à l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, pas encore de Malte, et à l’ordre de Saint-Antoine.

Pierre Coudroy de Lille
Société Archéologique de Bordeaux