Novembre/Décembre 2020
Louis Touratier – Monsieur Touratier – n’est plus.
Alors que la SEHA (Société d’écologie humaine et d’anthropologie) s’apprêtait à célébrer le 7 juillet 2020 le centième anniversaire de Louis Touratier, ce dernier nous a quittés le 9 juin, tout doucement, tranquillement, discrètement, comme nous l’avions toujours côtoyé, alors qu’il était un grand savant connu, reconnu et apprécié dans le monde entier.
Il était sorti diplômé de l’École vétérinaire de Maisons-Alfort en 1946. Parfois, rarement, il lui arrivait d’évoquer les années de guerre qu’il y avait passées.
À sa sortie de l’école, il intègre l’industrie pharmaceutique où il demeure les quatorze années suivantes et se spécialise en « recherche et développement », comme on dit aujourd’hui, sur les médicaments antiparasitaires. Il est vrai qu’il consacra sa vie à la lutte contre les parasites du bétail en milieu tropical, et plus précisément contre les trypanosomiases bovines dont il était devenu l’un des spécialistes.
Puis, pendant neuf ans, on le vit assistant du directeur général de l’OIE (Office international des épizooties, ancienne dénomination de l’Organisation mondiale de la santé animale) où il fut en charge des publications et de l’organisation des meetings.
Ensuite, il revint vers l’industrie pharmaceutique (Spécia et Rhône-Mérieux) où il travailla sur les antiparasitaires, principalement des anthelminthiques (alias vermifuges), puis en particulier les trypanocides (= destructeurs des trypanosomes vecteurs de la maladie du sommeil) en laboratoire et sur le terrain (Europe, Afrique, Asie, Amérique du Sud), ce qui l’amena à des contacts étroits avec l’OMS (Organisation mondiale de la santé), la FAO (Food and Agriculture Organization = organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, agence de l’ONU qui lutte pour la sécurité alimentaire à l’échelle de la planète) et l’ISTCRC (institut qui s’occupe des chimiorésistances aux trypanocides). Il fut l’un des spécialistes mondiaux des trypanosomiases plus connues sous le nom de « maladie du sommeil » propagée par la mouche tsé-tsé. Il signa ou cosigna plus d’une centaine de publications.
De 1976 à 1980, il est membre du Comité français de Pharmacopée – Produits Vétérinaires – et représentant de l’industrie au programme de coopération industrielle de la FAO, observateur aux réunions de la FAO et de l’OMS sur les médicaments trypanocides.
C’est tout naturellement qu’il mit à profit à la fois ses connaissances sur le sujet et le temps libre de sa retraite pour être, de 1983 à 1991, secrétaire général du groupe de travail de l’OIE Trypanosoma evansi (trypanosome provoquant la surra, maladie infectieuse affectant notamment équidés, camélidés, bovins, cervidés, chiens et chats par le biais du taon ou de la chauve-souris Desmodus rotundus).
Il crée au sein de l’OIE le groupe TANTG/NTTAT (trypanosomiases non transmises par les glossines c’est-à-dire les mouches tsé-tsé)[1], dont il fut le secrétaire général/coordonateur durant de longues années, de 1991 à 2015, en relation avec les meilleurs spécialistes mondiaux de la question. Enjeux d’envergure puisque la vie de millions de personnes en dépend.
En 1998 sa retraite est assombrie par la perte de son épouse, elle-même pharmacienne dans l’industrie du médicament. Ils n’avaient pas eu d’enfants, ce qui avait été l’une des grandes peines de sa vie. Néanmoins il continua à participer activement à de nombreuses rencontres internationales, où sa voix faisait autorité. Il fit plusieurs fois le tour de la planète, et seulement en 2018 il renonça à aller à Oulan-Bator, en Mongolie. Il n’est pas sûr qu’il ne l’ait pas regretté…
En plus de ses activités de recherche, il devait participer à divers enseignements, notamment à l’IEMVT (Institut d’élevage et de médecine vétérinaire des pays tropicaux), à l’Institut Pasteur, au CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) à Montpellier, ainsi qu’à l’IRD (Institut de recherche pour le développement). Il était toujours en relation avec de nombreux chercheurs, en particulier africains dont il suivait les travaux avec attention. Au Cameroun, en République centrafricaine, au Tchad, ailleurs sans doute on se souvient encore avec émotion du Docteur Touratier.
Enfin il était membre national correspondant de l’Académie vétérinaire française.
Ici, il fut membre de l’ancienne Société d’anthropologie du Sud-Ouest et de la Société internationale d’écologie humaine – les deux ancêtres de la SEHA – ainsi que de la Société linnéenne. Esprit curieux et d’une grande culture, mélomane et musicien – il jouait de la flûte traversière dans un ensemble bordelais de soixante-dix exécutants –, nous nous souviendrons longtemps de sa gentillesse et de sa politesse raffinée, si rare de nos jours, de ses remarques pertinentes lors des conférences, de son humour aussi et… des pizzas qu’il ne manquait jamais de commander lors des repas qui accompagnaient les rencontres de la SEHA.
Sa dernière année fut assombrie par la perte progressive de la vue. Il ne pouvait plus lire et cela l’attristait beaucoup. Et puis, doucement, sans faire de bruit, la lumière s’est éteinte et avec elle Louis Touratier s’en est allé…
Le Docteur Touratier était un homme de bien. Il va nous manquer.[2]
Chantal GAUTHIER.
SEHA – Société d’Ecologie Humaine et d’Anthropologie
[1] Sur ce sujet il avait travaillé avec Jean-Louis Jacquemin, parasitologue, professeur honoraire à la faculté de médecine de Poitiers qui devait venir nous faire une conférence sur les bactéries au mois de mai 2020. Mais il y eut le Covid-19, le confinement… bref une année pas comme les autres.
[2] Nous tenons tout particulièrement à remercier sa nièce, Mme Agnès Stiesz qui a bien voulu nous communiquer des renseignements sur la vie et la carrière de Monsieur Touratier.